Un Siècle – Vie et mort de Galia Libertad, texte et mise en scène de Carole Thibaut.

Crédit photo : Héloïse Faure

Un Siècle – Vie et mort de Galia Libertad, texte et mise en scène de Carole Thibaut, scénographie Camille Allain-Dulondel, costumes Malaury Flamand, lumière Yoann Tivoli, son Margaux Robin, vidéo Léon Derre.

Avec Monique Brun, Antoine Caubet, Jean-Jacques Mielczarek, Olivier Perrier, Mohamed Rouabhi, Valérie Schwarcz, et la jeune troupe des Ilêts #2.

Autrice, metteuse en scène et comédienne, Carole Thibaut dirige depuis 2016 le Théâtre des Ilêts – Centre Dramatique National de Montluçon – région Auvergne-Rhône-Alpes. Issu d’une enquête sur l’histoire sociale, culturelle et politique du XX è siècle de Montluçon, petite ville du centre de la France, sa pièce -comédie humaine – observe les échos des remous de l’Histoire sur les destins.

La pièce raconte les retrouvailles d’un groupe d’amis et de proches venus rendre un dernier hommage à Galia Libertad, immigrée et ouvrière avec qui ils partagent des liens filiaux, amoureux ou amicaux. Sont balayées des périodes charnières – rurale et industrielle – des XX è, XXI è siècle.

Soit une façon de raconter le siècle, pour la conceptrice Carole Thibaut, d’en saisir les ondes et résonances à travers neuf personnages, issus de trois générations – certains sont nés avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale, d’autres dans les sixties, et d’autres à la fin du XX è siècle.

A partir de témoignages recueillis, de lectures d’ouvrages économiques et historiques, les figures de la pièce se sont dessinées. Pour le personnage de Galia qu’interprète avec talent et émotion Monique Brun, l’inspiration vient des propos d’une ancienne ouvrière d’une usine textile de Montluçon; de même, pour le monologue d’Anisse qu’incarne avec flegme et jolie patience Mohamed Rouabhi, le discours est issu des expériences et constats de l’histoire de l’immigration. 

L’ « ancêtre » Galia, fille de polonaise juive et d’anarchiste espagnol, avec la mémoire meurtrie et blessée due à ces origines, a vécu en femme libre et autonome, ouvrière sidérurgique puis du textile, et syndicaliste – elle a vécu l’échec de l’occupation de l’usine Dunlop, alors que la Gauche avait enfin accédé au pouvoir en 1981, et qu’on pouvait s’attendre à des lendemains qui chantent.

Galia a eu un compagnon algérien retourné dans son pays et dont elle a eu un enfant Anisse qui en veut à sa mère d’avoir été un fils dont le père s’est volontairement absenté de sa responsabilité. Amertume, dérision, il est difficile de discuter ou d’échanger avec lui, quoiqu’il dise vrai. Or, Assine, veuf, est père d’une jeune femme décidée et dynamique, joviale et ouverte au monde – Chloé Bouillet – qui présente son amoureux et serveur de café – Hugo Anguenot – à la famille réunie.

Autour de la mère encore, deux hommes – un ex-compagnon d’antan, et de l’autre, le compagnon d’aujourd’hui : le premier, haute stature de Jean-Jacques Mielczarek et fier quant-à-soi, reste prévenant, tandis que le second, Olivier Perrier, qui a conservé sa capacité comique et ludique de comédien aguerri, originaire de Hérisson, non loin de Montluçon, raconte ses origines et territoire.

Fils de boucher qui était un ami d’un peintre sud-américain installé à Hérisson dont il peignait les les rues et les paysages, Pierre revendique non seulement son désir d’avoir voulu être artiste, mais aussi le territoire rural de sa région – campagne et paysannerie dont il a voulu rendre compte avec malice sur les scènes de théâtre, traînant à ses  côtés la truie Bibi qu’on a pu voir ici et là. 

Et ainsi ne jamais prétendre à dissocier les animaux des hommes qui cohabitent sur cette Terre.

Une posture politique significative de la ruralité ; de même, est convoquée la tradition ouvrière sidérurgique: les anciens se penchent sur le procédé Bessmer qui permet d’affiner la fonte brute en acier, une technique de prospérité pour Montluçon à ses heures de gloire et de pleine activité. 

A la cérémonie d’accompagnement vers le trépas de Galia, est présent un fils encore, appelé le Lyonnais par Pierre, père d’obédience plutôt communiste, comme on vient de le voir, alors que cet urbain sexagénaire que joue avec brio Antoine Caubet, voix profonde et présence forte, remarié et qui va divorcer, retrouve sa première épouse – libre et sensible Valérie Schwarcz -, la mère d’une jeune femme – Louise Héritier – étudiante en anthropologie ou ethnologie, rigoureuse et engagée pleinement dans la cause féministe contre les moindres traces d’un patriarcat récurrent à oublier.

Elle reste triste et indécise, comme sur la défensive, et difficile d’approche, parfois agressive.

Or, la cérémonie funèbre est joyeuse et festive, décor de jardin avec ses tables conviviales, et une grande branche d’arbre feuillu semble protéger la petite communauté d’amis et de famille; tandis que des bouquets de fleurs illuminent ces trois journées et nuits ultimes, avec un écran sur le mur de lointain pour que défilent des images de Montluçon, ville sinistrée, et images de manifestations.

Autour du plateau, un voilage sombre et transparent marque une coursive ou un couloir pour les sorties des personnages, un espace sombre qui représente les non-dits et les silences familiaux.

Un Siècle – Vie et mort de Galia – rappelle théâtralement un peu Tchékhov, un peu Yasmina Reza avec Conversations après un enterrement, l’atmosphère est tonique et vivante qui développe aussi sa pédagogie – sociologie, économie et politique -,  tout en laissant surgir les atermoiements de chacun,  le sentiment d’échec ou de manque, quoique si on relativise, tout ne soit pas si négatif.

Souffrances éphémères ou lancinantes d’amour, la vie est là, gorgée de saveurs et de promesses, même si le propos peut parfois prêter à sourire – visions réductrices, simplistes, caricaturales. Le public ne peut qu’être touché par cette aventure existentielle, et populaire au sens noble du terme.

Véronique Hotte

Du 7 au 26 février 2022, lundi, vendredi 20h, mardi, jeudi, samedi 19h, relâche mercredi et dimanche, au Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan 75014 – Paris. Tél : 01 43 13 50 50 theatredelacite.com