Fiction Friction, conception, scénographie et mise en scène de Phia Ménard. Avec les acteurs issus de la promotion 10 de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne.

Crédit photo : Nicolas Joubard

Fiction Friction, conception, scénographie et mise en scène de Phia Ménard, assistante à la mise en scène Clarisse Delile. Avec les acteurs issus de la promotion 10 de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne.

Musique de Valentin Clabault et Maxime Crochard, lumières de Manon Pesquet (TNB), son de Vincent Buret (TNB), costumes de Myriam Rault (TNB). Avec les acteurs Hinda Abdelaoui, Olga Abolina, Louis Atlan, Laure Blatter, Aymen Bouchou, Clara Bretheau, Valentin Clabault, Maxime Crochard, Amélie Gratias, Alice Kudlak, Julien Lewkowicz, Arthur Rémi, Raphaëlle Rousseau, Salomé Scotto, Maxime Thébault, Lucas Van Poucke, Mathilde Viseux, Lalou Wysocka.

Jongleuse et danseuse contemporaine, performeuse qui force l’admiration tant son accomplissement est patient, Phia Ménard crée avec la promotion sortante de l’Ecole du TNB la performance d’une sculpture vivante d’êtres liés entre eux, au-delà des couleurs de peau, des sexes, des âges, des origines. Elle intervient en artiste associée au TNB et présidente de l’Ecole.

Le titre du spectacle Fiction Friction est un hommage dédié au romancier, photographe et plasticien Edouard Levé, disparu en 2007, pour son ouvrage Fictions (Editions P.O.L.), afin de « faire friction de sa fiction », dit Phia Ménard. De plus, le lieu imparti à une première version du spectacle en 2020 était l’espace exigu de la salle Paradis située au dernier étage du TNB, soit l’occasion de frictions et frottements, ne serait-ce que physiques, pour les vingt interprètes réunis, mais aussi spirituels, dirait-on, si l’on évoque les heurts, désaccords et accrochages possibles.

Or, la promotion 10 de l’Ecole du TNB joue un jeu manifestement émancipé, sans nulle réserve, même si « la génération qui suit, consciente des blessures qui résultent de la violence patriarcale ou politique, se met en position de retrait plutôt que de combat…Cette génération-là n’est pas en forme. Elle va devoir apprendre à se lâcher, à abandonner ses repères, à cesser de penser que le moyen de ne pas blesser les autres, c’est d’être dans le contrôle », confie Phia Ménard.

L’enjeu est de conduire les jeunes gens à s’interroger sur la question de la désillusion ou du mensonge, sachant que ce Paradis ne représente ni la clarté ni l’illumination mais la noirceur.

Un spectacle en forme de manifeste d’une jeunesse pour la ré-appropriation même de l’espace.

Un espace prédisposé à évoquer l’art pariétal – premier art dont nous ayons gardé la trace, les premiers dessins ont été découverts comme autant de témoignages et traces d’une époque révolue. Ces dessins désignent un langage, qui, accomplis sur le plateau par les interprètes, leur permettent d’intervenir sur ceux des autres dans les mouvements, gestes et déplacements.

La figure de l’ensemble et de l’assemblage est à l’honneur- symbole pédagogique de réalité civique et citoyenne – la qualité d’un tout dont les parties seraient harmonieusement unies – un équilibre atteint et une juste proportion des éléments, une belle cohésion dans la composition.

Autre enjeu non négligeable pour la conceptrice : faire en sorte que les jeunes gens se ré-approprient leur corps, afin qu’ils en jouent ou jouent avec lui, et ne s’en défendent plus ni ne s’en méfient en cette pandémie : « être » et retrouver un corps qui soit seul et avec les autres. 

Renaître à son existence et se ressaisir, à travers un éveil sensible à son propre corps sensitif et à celui de l’autre, ce qui provoque aussitôt une relation, une émotion – manière de trouver sa place, non plus via la parole proférée mais les contours et les lignes dessinées. Le théâtre n’advient d’abord que quand la partition se joue collectivement depuis les corps en présence, face au public.

L’expérience du groupe convoque l’amitié, l’amour et le conflit, qu’on éprouve tout en sachant garder une distance et un recul pour éviter en échange de se perdre dans un lien trop aliénant. 

Étrangement, on se croirait dans les antres sombres de la terre, non loin des égouts peut-être, quand on voit un premier personnage surgir d’une bouche souterraine à la plaque de fonte levée. Portant une couverture de survie – feuille de papier d’aluminium doré collée sur la tête et le haut du corps, ce drôle de « fantôme » s’applique à mettre en valeur les issues de secours lumineuses, à jardin la signalisation « Friction », et à cour « Fiction » ou inversement: préparation psychologique.

Rideau tiré, le noir s’installe, salle et scène, sous les vagues puissantes d’une musique entêtante. Et sous le bruit significatif des feuilles d’aluminium, des mouvements affairés se laissent deviner, qui ménagent en même temps la qualité précautionneuse d’un silence : aussitôt apparaît sur le plateau, aux yeux du public, un groupe anonyme de jeunes gens portant même vêture dorée.

Un groupe sculpté, un ensemble harmonieux et comme encore aggloméré et non séparé : les individus font corps, agglutinés entre eux et ne vivant que les uns en fonction des autres. Puis, ils s’écartent et s’isolent, se dévêtant de leur couverture de survie pour la plier et la rouler sur le sol.

Portant tous un jean et un sweat coloré à capuche, les acteurs sont à découvert, divers et semblables, se mouvant sur un plateau restreint dans une attention mutuelle permanente. Les corps se frôlent, conscients de leur présence collective, s’évitent, se rapprochent, s’éloignent.

Un jeu de gommettes géantes sur le sol donne à lire « Welcome to », lettres désarticulées ensuite par les comédiens qui s’amusent dès lors à recomposer le mot « Paradis » sur le mur de lointain.  

Ils s’appuient, debout, sur ce mur- barrière qu’ils semblent vouloir pousser de toute la force des bras et du corps pesant de chacun, frappant et cognant cet obstacle qui les prive de liberté : sous l’agressivité de leurs coups, tombent des filets de poussière blanche – marques d’un temps passé.

Des deux côtés du plateau, une sorte de cheminée noire – tuyaux ordinaires – d’où s’échappent une vapeur blanche, légère fumée qui fait écho aux pluies de poussières déjà entrevues. Or, dans l’épreuve de l’impossibilité à faire se mouvoir l’espace ou bien à l’agrandir en poussant les murs, les interprètes accaparent l’espace par la craie -sur le sol et les murs noirs -, esquissant des vagues enfantines aux yeux bleus, un espace maritime semble-t-il duquel on distingue des corps, des pieds et des mains, fragments de membres humains et autre faune et flore maritime.

Quand le mur et les cheminées sont saturées de contours, les acteurs dessinateurs se replient sur le sol pour continuer leur création graphique, s’allongeant pour que l’autre cerne son ombre sur la scène d’un large trait de craie, circonscrivant rigoureusement une victime abandonnée sur la route.

On ne peut pas ne pas penser aux victimes migrantes parcourant les mers d’aujourd’hui.

Or, on a pu voir les interprètes danser ensemble sur la musique – un groupe festif articulé avec soin -, avant de se scinder pour former des couples qui s’inter-changent bientôt. Si l’un des acteurs se trouve isolé, qu’à cela ne tienne, il formera aussi un duo au tour suivant. Affectivité sentimentale mais aussi sursauts de rejet et de scission, on peut se battre sans vergogne jusqu’à ce qu’un arbitre improvisé, de manière impromptue, impose la paix d’un coup de sifflet intempestif.

Vivre ensemble, se côtoyer, se frôler, s’approcher, se caresser peut-être, prendre du recul, la vie est faite de respirations, de souffles donnés puis repris, d’ombres et de silhouettes qui s’approchent ou s’éloignent. Coeur qui bat, poitrine qui inspire et expire, existence qui se goûte : l’expérience de l’être-là au monde s’éprouve enfin au plus près de soi et avec les autres.

Véronique Hotte

Du 15 au 19 février, mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi à 19h30, samedi à 15h, au Théâtre National de Bretagne, 1 rue Saint-Hélier 35000 – Rennes. Tél : 02 99 31 12 31 info@t-n-b.fr 

2 réflexions sur “Fiction Friction, conception, scénographie et mise en scène de Phia Ménard. Avec les acteurs issus de la promotion 10 de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne.

  1. Bonjour Madame Véronique Hotte,
    je constate que mon nom n’est pas mentionné dans le générique de ce spectacle. Je me permets de vous en informer, et si vous pourriez ajouter mon poste d’assistante à la mise en scène. En vous remerciant, Clarisse Delile

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