5 mars 1922- 5 mars 2022 : centenaire de la naissance de Pasolini. Pasolini de René de Ceccatty, éditions Gallimard, collection Folio Biographies N°6, Nouvelle édition augmentée.
« Ceux qui comme moi ont eu le destin de ne pas aimer selon la norme finissent par surestimer la question de l’amour. Quelqu’un de normal peut se résigner – quel mot terrible – à la chasteté, aux occasions manquées : mais chez moi la difficulté d’aimer a rendu obsessionnel le besoin d’aimer : la fonction a hypertrophié l’organe, alors que, dans mon adolescence, l’amour me semblait être une chimère inaccessible », écrit Pier Paolo Pasolini.
La vie de Pier Paolo Pasolini (1922-1975), cinéaste, romancier, théoricien de l’art et de la littérature, se déroule à la fois comme un destin tragique et comme le symbole d’une noble liberté. Il paya très cher ce courage : scandales, procès, assassinat mystérieux dont il fut la victime, sur une plage d’Ostie, une nuit de novembre.
A l’occasion du centenaire de la naissance de Pasolini, René de Ceccatty relate avec précisions les faits et les hypothèses concernant l’assassinat de Pasolini, au sein d’un chapitre inédit.
« Depuis 2005, où a paru cette biographie, de nombreux éléments nouveaux ont été découverts sur les circonstance de la mort de Pasolini, par des journalistes, des avocats, des enquêteurs de toutes sortes. Nous avons souhaité faire le point sur ces convictions, hypothèses ou questions qui ont été formulées dans des articles, des livres, des émissions de radio et de télévision, des blogs, des films. Ces suppositions, plus ou moins argumentées, ne modifient pas radicalement le récit de la vie de Pasolini, mais jettent une lumière différente (que nous ne pouvons toutefois pas déclarer définitive) sur ses dernières lettres ou même ses derniers mois. » R. de C., novembre 2021.
Auteur de nombreux romans, traducteur du japonais et de l’italien, René de Ceccatty consacre plusieurs essais à la littérature italienne (Sibilla Aleramo, Pétrarque, Pasolini, Alberto Moravia). Il publie un recueil d’entretiens avec Adriana Asti, Se souvenir et oublier, et de nombreux essais; il est encore auteur de pièces de théâtre et de livrets de comédie musicale.
Dans la collection « Folio biographies », il publie Maria Callas en 2009. Dans le cadre du centenaire Pasolini, son livre Avec Pier Paolo Pasolini paraît le 2 mars aux Editions du Rocher.
Quelques extraits significatifs de ce Pasolini de René de Ceccatty, dans l’édition augmentée.
« Il est difficile de se représenter ce créateur protéiforme à un âge vénérable. Il n’appartiendrait probablement pas plus à l’Italie dominée par la mondialisation qu’il n’avait appartenu à l’Italie défigurée par une industrialisation qui avait vidé ses campagnes et dont il venait de chanter la mort dans son recueil La Nouvelle Jeunesse (1974), abjuration ds ses premiers poèmes amoureux du Frioul.
Profondément ancré dans son temps, au jour le jour, il était pourtant plus proche de Michel-Ange et de Dante que des cinéastes et des écrivains parmi lesquels son oeuvre a émergé. Contemporain d’Elsa Morante, d’Anna Maria Ortese, de Giorgio Bassani, de Sandro Penna, il était, malgré l’admiration qu’il vouait à ses pairs, l’habitant d’une autre planète.
Contemporain de Fellini qui l’aida à produire son premier film, puis recula, il apportait au cinéma une autre fonction que celle qui lui était donnée même par les véritables génies novateurs de cet art. Certes, on peut estimer qu’il faisait partie de la famille des Mizoguchi, des Godard, des Chaplin, des Dreyer, des Bresson, des Murnau, de tous ceux qui cherchaient dans l’expression cinématographique autre chose qu’une alternative au récit romanesque et au drame théâtral, qui cherchaient une voie d’accès à la réalité poétique.
Son rôle dans le cinéma, la poésie et le roman, la critique, le théâtre et le pamphlet politique, le journalisme, la pédagogie et la morale sexuelle, est explicable par le temps où il est né, a mûri et a rencontré la mort. Ce rôle, dans ces divers domaines qu’il a abordés, et où il a régné en tyran, tyran de lui-même plus que des autres, aurait été tout autre s’il avait été le contemporain de D’Annunzio, de Dino Campana ou de Nanni Moretti, pour nous en tenir au XX è siècle.
Pasolini était un enfant du fascisme, un témoin de la montée du berlusconisme (…). Un acteur de la scène littéraire, politique et cinématographique de l’Italie des années 1950, 1960 et 1970. Au début des années 1950, il était naturel qu’un jeune écrivain talentueux s’intègre aux équipes de scénaristes de la Radio et même de la Cinecittà.
Le cinéma italien était triomphant, non seulement sur le plan intellectuel et artistique, mais sur le plan commercial. Rome ne se battait pas contre Hollywood, Hollywood venait chercher à Rome une alliée et puisait à cette source d’idées, de novations et de financement.
Pasolini a bénéficié de cette situation exceptionnelle du cinéma italien, qui permettait à un tempérament aussi singulier de s’exprimer avec une liberté sinon totale (comme on le sait, il paya cher cette liberté, par d’innombrables procès, déclenchés par des procureurs de province, souvent alertés par de simples spectateurs que choquaient une image, une réplique, une scène, une allusion), du moins assez considérable pour se poursuivre jusqu’à sa mort.
De même que Pasolini a bénéficié de l’atmosphère générale de polémique intellectuelle, liée aux conflits constants entre le communisme, le catholicisme, la Démocratie chrétienne, qui étaient au premier plan de la vie politique. (pp.10,11, 12)
(…) c’est la double appartenance au mysticisme et au marxisme qui a en partie déterminé son parcours. C’est la double fonction d’écrivain et de cinéaste qui a marqué sa création. C’est le mélange de convention (ou de passion) familiale et de besoin (ou de nécessité) de différence qui a rendu sa vie personnelle problématique, puisqu’elle était définie par sa dévotion à sa mère avec laquelle il a toujours vécu, par sa fidélité sentimentale à son ami de coeur Ninetto Davoli et par son insatiable besoin d’aventures sexuelles parfois humiliantes, parfois vénales, parfois ludiques, parfois hypocrites (de la part de ses partenaires dont il feignait de croire les parades et d’ignorer les dérobades) et finalement assez dangereuses pour lui coûter la vie. (p.15)
Ce qui peut être considéré comme une ambiguïté gênante pour certains, sur le plan idéologique, sur le plan esthétique, sur le plan privé, devenait avec lui une force exceptionnelle de stimulation.
Mais toutes ces ambiguïtés étaient liées à l’époque où il a vécu. Il fallait qu’il ait eu une enfance et une adolescence dominées par le fascisme et la guerre.
Une jeunesse marquée par la suractivité culturelle consécutive au silence de la guerre. Et une maturité envahie à la fois par la révolution des moeurs et par l’avancée angoissante du libéralisme économique qui, s’il avait vécu davantage, aurait cruellement nui à sa création et à sa vie.
Il fallait donc qu’il ait eu aussi un père fasciste (par la force des choses, plus que par choix), qu’il ait eu un frère communiste victime d’une faction de son parti, qu’il ait eu une mère chrétienne sans religion et institutrice, qu’il soit arrivé à Rome au moment de l’explosion cinématographique, qu’il ait eu, à toutes les périodes de sa vie, des amis extrêmement dévoués et fidèles (…) pour être l’homme qu’il fut. » (p.16)
Ouvrage passionnant qui révèle l’engagement politique et poétique d’un grand de notre temps.
Véronique Hotte
Pasolini de René de Ceccatty, éditions Gallimard, collection Folio Biographies N°6, Nouvelle édition augmentée, 320p./9,80€.