La terre entre les mondes de Métie Navajo (Editions Espace 34), mise en lecture de Jean Boillot. Avec Cyrielle RAYET, Stéphanie SCHWARTZBROD, Roland GERVET, Johanna KORTHALS ALTES, Sophia FABIAN, Cybèle ZINSLI. 

La terre entre les mondes de Métie Navajo (Editions Espace 34), mise en lecture de Jean Boillot. Avec Cyrielle RAYET, Stéphanie SCHWARTZBROD, Roland GERVET, Johanna KORTHALS ALTES, Sophia FABIAN, Cybèle ZINSLI. 

Mise en son de Perceval SANCHE. Production : La Spirale -Cie Jean Boillot, compagnie conventionnée par le Ministère de la Culture.  Co-production : Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine avec le soutien du Studio Théâtre de Vitry-sur-Seine.

Jean Boillot, en 2020, à l’issue de dix années à la direction du NEST, réactive sa compagnie La Spirale en partenariat avec Nadja Leriche et propose une nouvelle version de No Way Veronicad’Armando Llamas, avec une récréation musicale de David Jisse. Le spectacle sera présenté au 11 • Avignon en juillet 2021.

Entre autres projets, il créera, dans deux saisons à présent, La terre entre les mondes de Métie Navajo (Editions Espaces 34). Depuis septembre 2018, Métie Navajo est autrice associée au théâtre Jean Vilar de Vitry-sur- Seine et a obtenu une bourse de résidence du Conseil Régional d’IDF pour son projet de création « qu’est-ce qui nous appartient ? ». 

Elle initie  une collaboration avec une compagnie mexicaine, le Collectif Makuyeika et part en résidence en décembre 2020 dans une région indienne du sud du pays où elle écrit La terre entre les mondes. Avec Gustave Akakpo et Amine Adjina elle écrit et performe une pièce conférence intitulée  De la diversité comme variable d’ajustement d’un nouveau langage théâtral non genré, multiple et unitaire, créée aux Plateaux Sauvages en 2020. 

Pour revenir à la dernière pièce de Métie Navajo, La terre entre les mondes, le metteur en scène Jean Boillot estime qu’elle est la plus accomplie, en résonance peut-être avec Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès et l’oeuvre de Jean Genet. Un rapport au pouvoir et à la manipulation est dévoilé dans cette écriture de la clairvoyance, soit la mise en adéquation pour La terre entre les mondes d’une forme académique avec des questionnements contemporains – citoyens, politiques, altermondialistes et artistiques. 

Des engagements qui font la part belle à la poésie, jouant du silence, du son, de l’environnement, des croyances, de l’imaginaire – des réalités subtiles qui ne peuvent que solliciter la curiosité de tout lecteur occidental intrigué, comme Jean Boillot lui-même.

« Il y a des régions tranquilles au Mexique, les plus éloignées des Etats-Unis et les plus proches de Dieu, dit-on. Là, entre un village maya et les vastes plaines de soja – avant, des forêts -, au pied d’une croix sans christ, deux filles creusent un trou pour un fantôme.

La noire, Cecilia, est maya et vit au village avec son père qui soliloque, appelant la pluie. La blonde, Amalia, plus jeune, relève d’une congrégation religieuse européenne qui travaille la terre, retranchée du monde. N’ayant vu que les plantations, elle rêve d’océans, d’arbres. Autour d’elles, une sœur jalouse, une mère disparue, une morte refusant de mourir, et les dieux. Cecilia et Amalia, deux univers se regardent, confrontés à l’intrusion du monde technologique.

Une pièce, délicate et puissante, sur la disparition – des êtres, des cultures, de l’environnement naturel -, sur le monde magique des croyances, sur la vitalité de la jeunesse, s’attachant à faire entendre les langues parlées et leur beauté, des liens vivants.

Le metteur en scène Jean Boillot, alors directeur du NEST-CDN de Thionville-Grand Est, a accompagné la coproduction de deux textes de Métie Navajo mis en scène par Cécile Arthus, Taisez-vous ou je tire puis Eldorado Dancing

La lecture de la dernière pièce de Métie Navajo bouleverse Jean Boillot, intrigué par la rencontre des Mayas et des Mennonites, deux cultures « mineures », altérités mystérieuses, communautés fragiles, menacées par la mondialisation et le progrès.

A l’invitation de Métie Navajo et de Nathalie Huerta, directrice du Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur- Scène où l’autrice est en résidence,  Jean Boillot assure la première mise en lecture de La terre entre les mondes au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine que dirige Bérangère Vantusso; la lecture est donnée le lendemain au Théâtre Jean Vilar de Vitry.

Le conte fantastique attire le metteur en scène : à l’orée d’une forêt peuplée d’animaux merveilleux, se tient un village Maya où vit Cécilia ; son père appelle le dieu Chak en sifflant pour attirer la pluie sur des cultures desséchées, quand Abuella, sa grand-mère morte, hante les rêves de sa petite fille pour lui réclamer une meilleure sépulture. 

Plus loin, au milieu de champs de soja, se tient une communauté Mennonite qui vit à l’écart, comme au XVI ème siècle, dans « la vraie foi » ; la jeune Amalia en fait partie. A peine sorties de l’enfance, Cécilia la Maya et Amalia la Mennonite se lient d’amitié.

Les personnages de La terre entre les mondes interrogent les lecteurs que nous sommes. Les uns sont les héritiers d’une grande civilisation aujourd’hui quasi-disparue. Les autres sont comme sortis des campagnes européennes du XVI ème siècle. Elles sont toutes deux figées dans le temps : des altérités anachroniques, à la fois proches et lointaines. 

Une pièce simple et peu d’actions scéniques, les dialogues sont essentiellement narratifs. Les images sont puissantes : d’un côté, les corps métisses des Mayas face à celui de ces trois femmes Mennonites sur le pas de leur maison, blanches et blondes, habillées dans la même robe, comme trois âges différents d’une même femme. 

Hors-champ, des mondes inquiétants et attirants : la forêt peuplée d’animaux réels et/ou légendaires ; plus loin, la Ville au bord de la mer, et plus loin encore, d’autres mondes qui appellent l’imaginaire et les désirs des jeunes femmes…

La pièce se passe aujourd’hui au Yucatan, province du Mexique : la mère de Cécilia a « disparu », comme des milliers d’autres femmes indiennes ; les mayas sont expropriés des terres que la Révolution Mexicaine leur avait pourtant rendues, des étrangers y pratiquent des cultures intensives qui utilisent des plants transgéniques et du glyphosate déclenchant des maladies, la déforestation et l’assèchement des sols. Le trafic de drogue, qui avait épargné cette région jusque-là, pointe, promesse d’une nouvelle tragédie à venir.


La terre entre les mondes est un condensé de violences réelles et contemporaines, conséquences d’une colonisation ancienne et de la mondialisation. La pièce fait coexister trois langues : l’Espagnol plus ou moins accentué – ici, c’est le français, l’écriture de la pièce, autre langue de colons -, le bas-allemand des Mennonites et le Maya. La langue est un champ de bataille : parler l’espagnol, c’est parler la langue des maitres, la langue des conquistadors devenue la langue officielle mexicaine, la langue du pouvoir. 

Cecilia, la Maya, l’a apprise à la maison et s’est perfectionnée à l’école, selon les désirs de son père. Amalia, la Mennonite, a aussi appris à le parler, personnage non conventionnel. 

Chez les Mennonites, on parle l’espagnol le moins possible, seulement pour les affaires, et elle a rencontré Cécilia, employée par son père. Amalia parle le bas-allemand de sa communauté, la langue d’un autre temps, reste des origines européennes, langue-barrage-frontière-mur exclusivement parlée par les gens de la communauté mennonite. 

La langue maya, langue devenue mineure, est clandestine, en voie de disparition comme la culture maya. Cécilia l’a apprise, contre son père, grâce à Abuella, sa grand-mère. Amalia l’appelle « la langue des oiseaux », elle permet de parler avec les forces secrètes de la forêt – langue des savoirs secrets, des dieux disparus ou celle des morts. Amalia va l’adopter au moment de son baptême maya – le moment de sa mort. »(Jean Boillot ) 

Des projets à suivre avec l’intérêt le plus grand.

Véronique Hotte

La Terre entre les mondes de Métie Navajo, mise en lecture de Jean Boillot, lectures le 28 mai 2021 au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine, le 29 au Théâtre Jean Vilar de Vitry.