Fais que les étoiles me considèrent davantage, texte de Hakim Bah, spectacle de Jacques Allaire

Crédit photo : Frédéric Desmesure

Fais que les étoiles me considèrent davantage

Fais que les étoiles me considèrent davantage, texte de Hakim Bah, spectacle de Jacques Allaire

Pour le metteur en scène Jacques Allaire, Fais que les histoires me considèrent davantage est une pièce de Hakim Bah, inspirée de Jack London et de Nietzsche – Ainsi parlait Zarathoustra -, le second ayant inspiré le premier pour son Martin Eden.

L’émancipation des dogmes économiques, politiques et religieux est ce à quoi rêve et œuvre le metteur en scène et philosophe Jacques Allaire qui travaille à retrouver et à éclaircir les fondements du pacte social et la refondation possible d’une pensée.

C’est à l’écrivain guinéen Hakim Bah installé à Paris que le concepteur a demandé d’écrire le texte, après qu’ils aient travaillé ensemble sur les dessins et croquis du premier dont les visions ont à voir avec les œuvres de Ibsen, Byron et Jack London :

« Faust de Goethe a servi de modèle au Manfred de Byron, lequel est la source de Zarathoustra de Nietzsche, qui à son tour inspira Martin Eden de Jack London ».

Un conte politique, une fable sur l’avoir et sur l’être – posséder à tout prix pour accéder au sentiment d’exister -, une histoire de trappeurs perdus dans la neige.

La ruée vers l’or du Klondike appelée ruée vers l’or de l’Alaska ou ruée vers l’or du Yukon, est une aventure légendaire qui attira environ 100 000 prospecteurs dans la région du Klondike dans le territoire canadien du Yukon entre 1896 et 1899.

Des routes improvisées, d’anciennes pistes des trappeurs, le voyage est rendu extrêmement difficile par la géographie et le climat. La région montagneuse, les rivières sinueuses et infranchissables, le court été peut être étouffant tandis que pendant l’hiver, s’étendant d’octobre à juin, les températures descendent à −50 °C.

Les amants Ruby et Zan sont accompagnés dans leur recherche d’or par trois autres migrants, en quête d’un improbable Eldorado, traquant le métal précieux à tamiser, perdant le jugement pour un trésor improbable qui leur fait entrevoir un avenir autre.

Les amants tentent de protéger leur bébé du froid des montagnes glacées ; le père et l’enfant disparaissent – morts sans doute. La femme qui les attendait se console auprès d’un compagnon qui dit avoir retrouvé les restes du défunt pour les ensevelir.

C’est alors, ainsi commence la pièce, que le spectre de Zan – fantôme shakespearien sorti du tombeau portant coiffe et sombre houppelande protectrice dont la voix semble venue des profondeurs – surgit sur scène contre toute attente.

Un rôle que tient avec belle patience et magnanimité le comédien et metteur en scène Jean-Pierre Baro, nouveau directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry dès janvier 2019, et complice de longue date des spectacles de Jacques Allaire.

Or, ce spectre infernal n’est pas à venger mais à vaincre, porteur du Mal et d’inhumanité à travers non seulement le soupçon d’une âpreté féroce au gain mais encore de cannibalisme, le père ayant mangé son enfant mort afin de survivre.

La confrontation entre les survivants rivés à leur tente de trappeurs et le revenant fait le drame ; d’un côté, la mère vulnérable accusant son ex-amant d’abandon et de négligence, quant à leur enfant, et résistant en même temps à ce que l’on condamne d’emblée et à mort ce père indigne et cet amant fourbe, amoureux de l’or seulement.

Du côté de la mère, un autre compagnon plus âgé et expérimenté qui défend Zan – Malik Faraoun est excellent dans cette figure de braconnier expérimenté et conciliant.

De l’autre côté, le nouveau compagnon de Ruby aimerait s’empresser d’anéantir cet adversaire inopportun ; il est à la fois un esprit vengeur et soumis par amour à sa belle – Criss Niangouna dessine un chercheur d’or vaillant, attentif et constructif.

Entre les deux partis, enclin à laisser survivre le défunt vivant, se tient un aventurier plus jeune, Zorje Kotlik : lui seul a trouvé une pépite d’or, ne cachant pas sa joie, plein de fougue et de désir de vivre, incarné avec bonheur par Romain Fauroux.

La scénographie de Jacques Allaire offre sur le plateau une fresque de fin du monde – tendance et rappel de soldats de la Grande Guerre et chaos universel où l’humanité se délite, gueules cassées, restes d’uniformes et de casques récupérés.

Poussière et murs bleutés de ferraille, toiles déchirées et déclin de toute vie.

L’atmosphère est pour le moins tendue, porteuse de trouble et d’anxiété, ne laissant jamais ni les personnages ni le public de la salle en repos, si ce n’est quelques moments fugitifs de chansons et de danses festives auxquels tous s’abandonnent.

Les comédiens sont excellents de présence physique, toujours sur le qui-vive et prêts à en découdre, mobiles et le corps penché vers le sol, ayant affaire avec la terre ici-bas si indifférente aux souffrances existentielles, ayant affaire avec l’autre également – le compagnon ou l’adversaire –, en confrontation ou en opposition.

Saluons le jeu de Marina Keltchewsky, vivante et raisonnante auprès de prédateurs perdus et en errance crasse ; elle diffuse joie et amour de la vie, en dépit de tout.

Un spectacle pessimiste sur l’état des êtres, même si la justice – droit et lois – est sauvegardée ; il gagnerait en vigueur s’il était plus compact et ramassé, les acteurs dansant une ronde macabre sincère dans des efforts âcres – tensions et dissensions.

Véronique Hotte

Le Tarmac – la Scène internationale francophone –, 159 avenue Gambetta 75020 Paris, du 6 au 24 novembre à 20h. Tél : 01 43 64 80 80. La Comédie de Saint-Etienne, du 22 au 24 janvier 2019. Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine, le 17 mars 2019. Théâtre Jean Vilar à Montpellier, les 27 et 28 mars 2019.Théâtre de Nîmes, les 2 et 3 avril 2019.