Cardamone de Daniel Danis (L’Arche Editeur automne 2018), mise en scène de Véronique Bellegarde – spectacle tout public à partir de 10 ans

Crédit photo : Philippe Delacroix

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Cardamone de Daniel Danis (L’Arche Editeur automne 2018), mise en scène de Véronique Bellegarde – spectacle tout public à partir de 10 ans

Pour Daniel Danis, l’auteur de Cardamone, pièce expressément écrite pour la comédienne Julie Pilod et la metteure en scène Véronique Bellegarde, l’histoire dont il déroule le fil patient pourrait se passer n’importe où, au Québec, en France, dans les Balkans ou ailleurs, et surtout en dedans de soi – le vrai lieu existentiel du dire.

On connaît l’écriture du dramaturge québécois, inventive et créative, s’amusant des mots et de leur forme pour les bousculer, les renverser, les faire tomber tête-bêche et les voir se relever autres, renaissants et toniques – comme un grand coup d’air frais venu de l’extérieur qui aurait balayé les pesanteurs quotidiennes, les habitudes.

Ce mouvement intérieur d’une parole expressive à l’extrême se révèle être la mise en abyme de l’aventure du personnage principal – la petite Cardamone – qui avance certes difficilement sur la terre et dans la vie, en chutant mais en se redressant aussi.

Toujours autre, vindicative, tenace, confiante et menant sa route, quoiqu’il arrive.

Epoque de migrations subies – la faute aux guerres et aux conflits territoriaux -, les hommes et les femmes parcourent des kilomètres, des plus âgés aux plus jeunes. Cardamone est une mineure isolée – crayons et feutres en poche pour dessiner et raconter le monde –, elle fait l’apprentissage de la vie de manière brutale et violente.

Au départ, dotée d’une fausse mère – une adulte qui aurait dû s’occuper de l’enfant -, elle la quitte pour prendre en charge à son tour « une petite sans nom », un double plus fragile ; elle-même se fait mère symbolique et gardienne d’une vie à protéger.

Sur la route de l’exil, elles affrontent ensemble le froid, la glace, l’égarement, et croisent le marcheur Curcuma, enthousiaste et ouvert, qui guide la fillette, lui montrant « les pieds-de-vent », ces rayons de lumière qui, poussés par le vent, traversent les nuages et descendent sur l’horizon : les signes d’une vie salvatrice.

Dans la forêt, Cardamone rencontre la Guerre – le comédien Julien Masson qui interprète d’un côté le rôle du jeune migrant fougueux Curcuma, incarne de l’autre, la figure belliqueuse et cruelle, haranguant le monde – une sculpture éloquente.

La mise en scène de Véronique Bellegarde est un ravissement amusé, sous la lumière de Philippe Sazerat : la petite fille est jouée par Julie Pilod, un rôle enfantin et décidé, donnant toute la mesure de ce dont l’actrice est capable : malice, colère, calcul et tendresse. Regardant le public dans les yeux, habitée, elle se dirige grâce au miroir tenu dans sa main, objet magique inversant le ciel et la terre, les nuages et les traces de boue, s’orientant pourtant entre peurs, menaces et clairières de survie.

Pour tracer son périple, elle découpe des morceaux de rouleaux de papier au cutter sur lesquels elle écrit, dessine et illustre sa pensée, lais de papier qu’elle roule en boule rageusement pour en faire une effigie et marionnette, « Petite sans nom ».

La marionnette, poupée presque vivante – une création de Valérie Lesort -, prend le relais de la figurine de papier, étrangement expressive dans cette humanité recréée.

Puis, un vestige de poupée Barbie, étendu sur le sol, représente la même enfant.

Pour décor, un arbre sec aux branches tendues – détail de nature – se tient fier sur le plateau ; à son côté, une cabane miniaturisée de bois. Sur l’écran, des images vidéo – photo de Michel Séméniako – proposent pour paysage les périphéries urbaines et les no man’s lands traversés par les migrants, des visions mêlées d’enfer et de rêve.

Sur le sol, un morceau de miroir cassé où se reflète le visage de la grand-mère aimante qui parle toujours au cœur de la petite-fille. La musique et la création sonore de Philippe Thibault accompagnent avec tact cette expérience initiatrice intense.

Véronique Hotte

Le Colombier, 20 rue Marie-Anne Colombier 93170 – Bagnolet. Tél : 01 43 60 72 81

Les 16, 18 et 19 mai à 20h30, les 17 et 18 mai à 14h.

 

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