Le Fils de Jon Fosse, traduction de Terje Sinding (L’Arche Editeur), mise en scène de Etienne Pommeret

Crédit photo : Hervé Bellamy

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Le Fils de Jon Fosse, traduction de Terje Sinding (L’Arche Editeur), mise en scène de Etienne Pommeret

 La dureté mi-figue mi-raisin de l’ambiance scandinave s’impose dès le début du Fils, la pièce que met en scène Etienne Pommeret, familier de l’œuvre de Jon Fosse.

Obscurité, manque de lumière, solitude et isolement de ceux qui restent quand tous s’en vont, tel est le sentiment qui se dégage des propos anodins mais tendus et éprouvés à l’extrême par un père et une mère, qui, au seuil de l’hiver dans un pays nordique, sont rivés à leur fenêtre – ouverture au monde -, attendant le bus du soir.

Le seul moment de vie sociale et de spectacle qui soit offert dans les environs.

La scénographie soignée de Jean-Pierre Larroche propose côté jardin une route sinueuse, tel un rail de train miniaturisé, jolie maquette où la route semble grimper vers le lointain, bordée de petites maisons enfantines, éclairées ou non dans la nuit.

« Et on dirait que c’est de plus en plus sombre d’année en année Il n’y a plus de lumière nulle part Il y a tant de maisons vides maintenant Autrefois il y avait de la lumière dans toutes les maisons Alors que maintenant… », constate le père, joué par le comédien Sharif Andoura – profondeur des émotions et sûreté des raisonnements.

Le père se réfugie souvent à l’avant de la scène, vers la fenêtre qui donne sur l’extérieur – le public -, suivi par la mère – belle sagesse intérieure et inquiétude féminine de Sophie Rodrigues -, qui amenuise toujours la gravité des propos.

Les protagonistes sont aspirés par le paysage de la route qui passe, un regard qui leur est propre, un espace de vision entre plaisir, émotion et méditation. Sobre tristesse et solitude des cœurs, région économique faillible et hostilité du monde.

L’hiver est le temps du repli sur soi, métaphore de la mort. Nature sombre et froide, tous les encombrements de la vie sociale disparaissent : l’être reste face à lui-même.

Pourtant n’en sont pas moins attendus les jours et leur lumière progressive.

Les vieux meurent – une règle du temps -, les jeunes privés d’avenir s’en vont. L’homme et la femme sont parents d’un fils dont ils n’ont guère de nouvelles, si ce n’est par le seul voisin alentour, veuf et alcoolique, qui leur a appris avec déplaisir l’emprisonnement du jeune homme, par ailleurs musicien dans un groupe rock.

Or, voici que ce soir-là, le bus laisse descendre à l’arrêt près de la fenêtre, deux passagers, le voisin dont on savait qu’il était parti en ville et le fils « inattendu ».

L’action scénique s’installe dans le salon, près de la cuisine attenante à cour. Karim Marmet incarne le Fils, comme aspiré loin de ses parents, près de ses passions qu’il ne partage pas avec les siens ; ceux-ci ne sauront pas s’il est allé en prison ou pas.

Etienne Pommeret interprète le voisin bavard et hâbleur qui surgit sur le plateau tel un boulet de canon, goguenard et malicieux, malgré ses difficultés à respirer.

Pas de règlements de comptes, mais l’impossibilité toujours de communiquer entre les êtres – de se comprendre -, par-delà les générations, les âges, les choix de vie, les engouements divers. Et pourtant l’attente du renouveau n’en apparaît pas moins :

« Oui il fait noir et froid en ce moment J’ai hâte que ce soit le printemps qu’on puisse sortir le bateau aller à la pêche Que les journées soient plus longues On se sent mieux quand les journées sont plus longues », dit le père.

La prose poétique de Jon Fosse – à la fois, économie, sobriété et mise en relief ouvragée des mots qui font sens – est scandée de répétitions et variations infinies.

La lumière est toujours sur le point de se révéler, lumière des maisons et des voitures, lumière de l’âme en soi qui ne diffuse plus sa tristesse mais qui, au-delà des songes et des illusions perdues, répand encore un éclat limpide et vigoureux.

Un spectacle poétique sur le beau sentiment tendu du temps et de la vie qui passe.

Véronique Hotte

Théâtre de L’Echangeur à Bagnolet, 59 avenue du Général de Gaulle 93170, du 4 au 13 avril 2018 à 20h30, relâche le dimanche. Tél : 01 43 62 71 20

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