La Petite Fille de Monsieur Linh, texte de Philippe Claudel, mise en scène de Guy Cassiers

Crédit photo : kurt van der elst

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La Petite Fille de Monsieur Linh, texte de Philippe Claudel, mise en scène de Guy Cassiers

 Le metteur en scène flamand Guy Cassiers fait usage d’un langage théâtral précis, tissé de textes dramatiques, littéraires et poétiques qu’il réinvente à sa façon, au milieu de caméras, d’images vidéo, de paroles projetées et de musiques live.

Composant un diptyque sur la trivialité de l’exil et de la migration, il crée en 2017 un premier volet, Grensgeval (Borderline) sur un texte de Elfriede Jelinek, puis un volet plus onirique, La Petite Fille de Monsieur Linh d’après le roman de Philippe Claudel.

Ce concepteur si singulier qui lie le rêve à la réalité sociale et économique suit son exploration scénique en compagnie d’un comédien seul en scène, Jérôme Kircher qu’on a vu dans un autre solo récemment, Le Monde d’hier, d’après Stefan Zweig.

Telle la structure romanesque de l’ouvrage, le spectacle construit un monde d’images, saisies et révélées depuis le regard de M. Linh pour et vers le spectateur.

Le public, déstabilisé par cette perspective, s’ouvre à une attention de belle qualité.

Originaire sans doute du Vietnam et témoin de massacres et de tueries d’un passé récent, Monsieur Linh quitte son pays sur un bateau, perdant cette ligne d’horizon qui perdure dans son cœur, ses souvenirs et sa mémoire. Il finit par accoster sur les rivages d’un pays inconnu et nouveau dont il ne repère plus la présence des odeurs.

Le migrant a dû quitter son pays en guerre pour assurer un avenir à sa petite fille. Exilé, isolé, ne maîtrisant ni les codes sociaux ni la langue de ce monde nouveau où il a été projeté, il vit entre un passé qui le hante et un présent qui l’effraie.

Sur le plateau, un écran est installé face au lointain, qui reçoit sur sa page numérique les seules informations dont peut s’accaparer, dans le noir d’une conscience, la compréhension confuse du vieil homme : homme, femme, enfant, docteur, interprète.

Installé dans un lieu précaire d’hébergement pour réfugiés politiques et économiques, il vit dans l’absence au milieu de familles qui ne parlent pas la langue du pays d’accueil mais dont les enfants scolarisés s’approprient peu à peu les mots.

Un écran noir maculé de phrases élémentaires fuyantes – apparition et disparition des mots -qui expliquent une situation sommaire, celle d’un migrant qui a tout perdu – comme exclu du monde en même temps que de sa vie à lui. Les phrases fusent dans le silence, projetant l’isolement et l’enfermement ressentis par Monsieur Linh.

Sur la scène, devant l’écran, Jérôme Kircher joue le narrateur, déclamant le récit et l’histoire de cet homme à la fois singulier et proche, puis peu à peu l’interprète non seulement du personnage principal, une image qui est aussi projetée sur l’écran – digne Monsieur Linh -, mais aussi de Monsieur Bark, croisé et rencontré par hasard.

Ce Monsieur Bark a perdu sa femme, épouse qui tenait un manège de bois pour enfants dans le même parc sur les bancs duquel les deux hommes sont assis aujourd’hui. L’homme loquace dit qu’il a fait jadis la guerre dans le même pays ; jeune et ignorant du monde, il était alors du côté des massacreurs et colonisateurs.

Le spectacle s’arrête sur l’étrangeté des dialogues et des relations entre ces deux êtres qui s’entendent au-delà des mots – une amitié non formulée mais éprouvée -dont Monsieur Linh saisit en toute conscience la dimension humaine chaleureuse :

« Sans qu’il sache le sens des mots de cet homme qui est à côté de lui depuis quelques minutes, il se rend compte qu’il aime entendre sa voix, la profondeur de cette voix, sa force grave. »

Voilà Monsieur Bark assis sur le banc de Monsieur Linh, et l’acteur qui fait usage d’une caméra à cour et d’une autre à jardin projette son image en portrait tel qu’il est.

Un seul Jérôme Kircher pour deux figures différentes et semblables en même temps.

Le comédien incarne un Monsieur Bark plus nonchalant et expansif, dont la voix chaude inspire la sympathie et provoque l’écoute, le rapprochement et l’empathie.

Gestes quotidiens du fumeur, sourires malicieux, regards attentifs et bienveillants.

Une voix plus douce à Monsieur Linh qu’il n’en comprend pas les mots prononcés :

« et qu’ainsi il est sûr qu’ils ne le blesseront pas, qu’ils ne lui diront pas ce qu’il ne veut pas entendre, qu’ils ne poseront pas de questions douloureuses, qu’ils ne viendront pas dans le passé pour l’exhumer avec violence et le jeter à ses pieds comme une dépouille sanglante » (Philippe Claudel)

L’acteur assure la musique sur scène – sons électroniques, cordes extrême-orientales et jeu de répétitions -, homme-orchestre, conteur et citoyen du monde.

Véronique Hotte

MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny, du 3 au 7 avril 2018, du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 18h30. Tél : 01 41 60 72 72. La Rose des Vents Villeneuve d’Ascq, du 10 au 14 avril. Théâtre National de Bruxelles, du 24 au 28 avril. Théâtre de Namur, du 3 au 5 mai.

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