Dans un canard, texte (Editions Actes-Sud Papiers) et mise en scène de Jean-Daniel Magnin

Crédit photo : iFou

DUC_Creation-0535.jpg

Dans un canard, texte (Editions Actes-Sud Papiers) et mise en scène de Jean-Daniel Magnin

 Dans la comédie souriante de Jean-Daniel Magnin, le héros malgré lui Donald Leblanc – le comédien Quentin Baillot, gouailleur et ahuri à souhait – est toujours stagiaire dans un centre d’appels, au bout de trois ans – les périodes d’essai n’en finissent pas – : il attend patiemment pour être cadre et père de famille assis.

Il remplit la mission d’agent de bonne volonté, discret et peu impliqué, jusqu’au jour où le fondateur historique de la boîte, Gégé, est retrouvé, suicidé, au fond d’un canal.

Par hasard, Donald a été le dernier interlocuteur de l’entreprise à parler avec ce cadre supérieur, relégué par ses rivaux prédateurs dans les bureaux du sous-sol. On suppose que c’est l’injustice d’une situation professionnelle amoindrie qui l’a tué.

La veuve demande à ce collègue imprévu et ahuri de prendre en charge le discours adressé à son époux, lors des funérailles, le seul habilité à cet hommage sincère.

Voilà le discoureur qui fait un lapsus et dit que Gégé a été trouvé « dans un canard » et non « dans un canal ». Jeu de mots involontaire, la maladresse fait le buzz ; les photos et le discours mémorable font le tour des réseaux sociaux, comme attendu.

Et Donald connaît une ascension fulgurante, entre directeur, DRH et chef de service.

Nous n’entrerons pas dans les détails d’une comédie farcesque des plus déglinguées, cocasses et loufoques : les débuts de la pièce sont remarquables de vivacité, d’entrain et de distance ironique et grinçante. L’humour et la drôlerie suivent ensuite le chemin moins tenu d’une offensive comique plus gratuite et plus aléatoire.

Le protagoniste livre pensée et états d’âme avec une naïveté toute naturelle ; il fait le récit des étapes de sa carrière inattendue, tout en cédant la parole à ses proches – intimes ou professionnels – qui à leur tour, racontent leur propre aventure adjacente.

Emeline Bayart qui joue la cadre d’entreprise, la veuve et l’épouse du héros en marche est absolument convaincante – tonalité musclée, acidulée, rieuse et vivante. De même, Eric Berger, qui incarne le fondateur disparu et le directeur actuel est promis à réussir à tout coup les emplois de bureaucrates aux dents plutôt aiguisées. Quant à Manuel Le Lièvre, il joue sa partition de rival avec sérénité et assurance.

Le rire et la moquerie badine inscrivent leur trace dans cet enchaînement cynique: Donald brille des feux d’une étoile ascendante avant de sombrer dans le néant.

Les conditions de travail dans l’entreprise, stress, pression et burn out, sont exposées au jour à travers la dénonciation et l’engagement de Jean-Daniel Magnin.

Le salariat subit une aliénation inique dans une société capitaliste ignorant l’humain.

Mal-être et malaise, la défense physiologique consiste à résister à l’agression psychologique – choc et traumatisme, à travers le stress, mais jusqu’à quel point ?

La farce se nourrit des réparties facétieuses des interprètes, entretenant l’état aigu de l’être astreint à se mobiliser pour se défendre des agressions et émotions. Urgence tonique des répliques, clarté des intentions, le rythme bat son train.

Entre ascenseur et petits rideaux métamorphosant les lieux – bureau, chambre ou institut médico-légal -, le syndrome d’épuisement professionnel inspire les acteurs : douleur, inattention, irritabilité, impatience, épuisement et absence à soi.

Quand Donald monte dans la hiérarchie – vrai Picsou -, l’élan et l’enthousiasme sont durables ; quand il s’effondre, le sacrifié disparaît dans un brasier de flammes.

Un divertissement satirique sur les conditions de travail tendues par la rentabilité.

Véronique Hotte

Théâtre du Rond-Point, à 18h30 du 22 avril au 14 mai. Tél : 01 44 95 98 21