Amphitryon de Heinrich von Kleist, traduction de Ruth Orthmann et Éloi Recoing (Actes Sud), mise en scène de Sébastien Derrey

Crédit Photo : Willy Vainqueur

Amphytrion-La Commune

Amphitryon de Heinrich von Kleist, traduction de Ruth Orthmann et Éloi Recoing (Actes Sud), mise en scène de Sébastien Derrey

Profitant de l‘absence du général thébain Amphitryon, Jupiter usurpe son apparence pour séduire son épouse, la belle et vertueuse Alcmène, tel est le mythe antique.

Amphitryon paraît en Allemagne en 1807, l’année où son auteur Heinrich von Kleist, accusé d’espionnage, connaît six mois de captivité dans les prisons françaises.

La comédie est une adaptation de la pièce de Molière, une œuvre revisitée ; l’auteur de théâtre conçoit ainsi le motif de deux broches que la belle Alcmène reçoit en cadeau, un remerciement de l’amant pour une nuit d’amour – l’une gravée de l’initiale d’Amphitryon, et l’autre de celle de Jupiter. La preuve de l’adultère involontaire d’Alcmène avec Jupiter est irrécusable car l’existence des deux bijoux est bien réelle. Amphitryon sort grandi de sa rivalité avec Jupiter, abandonnant l’aimée à qui l’aime, qui n’est autre que lui-même, ce que reconnaît humblement le dieu Jupiter.

La pièce Amphitryon de Kleist parcourt le cheminement d’une saisie identitaire, qui échappe toujours, un thème pour le moins d’une actualité aigue et troublante :

– Qui suis-je ? – Qui es-tu ? Ne s’impose nulle certitude mais la prévalence d’un doute – un sentiment de déstabilisation, si ce n’est de dépossession brutale de soi, mais au profit peut-être d’un mouvement engagé vers l’autre et la foi amoureuse.

Amphitryon se pose comme un éloge de la fidélité féminine – conscience et amour.

Face à la vertu de l’épouse, la ruse divine ne peut rien. Jupiter a présumé de ses forces, et le seul absolu dans ce monde vacillant serait la fidélité féminine. Les rapports de force ne concernent plus la rivalité ni l’injuste déséquilibre ni l’inégalité existentielle entre les hommes et les dieux, mais l’amour ultime encore et toujours.

La pièce s’amuse du thème de la comédie du maître et du valet, répété doublement : d’un côté, Sosie – ses vœux avec des envies profondément humaines – et Amphitryon – guerrier militaire ; de l’autre, Jupiter – dieu des dieux – et Mercure déguisé en un Sosie, pourvoyeur de coups sur son double minoré et authentique.

La scénographie d’Olivier Brichet est soignée : un espace sombre et brumeux – formes et spectres – au pied du palais d’Amphitryon que le public ne peut guère visiter, à moins d’entrevoir une porte étroite et deviner les allées et venues du dieu royal déguisé en Amphitryon que ce dernier – le vrai – ne peut guère plus pénétrer.

À l’étage, une coursive légèrement courbée avec des barrières de métal qui dégage dans les hauteurs un ciel lumineux grâce aux lumières de Ronan Cabon. Çà et là, des vagues de musique vont et viennent, à la manière du théâtre de Marie-José Malis, qui imposent un climax, un imaginaire servi par l’écriture soignée de Kleist.

Les acteurs sont excellents, à la fois forts et fragiles, intensément présents et absents, diffusant l’équivoque du sentiment de dédoublement et de dépossession.

Tenue militaire pour les maîtres, et dégaine beckettienne pour les valets, robe romantique pour la digne Alcmène et petite robe enjouée pour la servante Charis.

Saluons les présences – le jeu verbal et scénique – de Olivier Horeau, Frédéric Gustaedt, Catherine Jabot, Fabien Orcier, Nathalie Pivain et Charles Zévaco.

Une mise en scène persuasive et convaincante au service de l’art littéraire de Kleist.

Véronique Hotte

La Commune centre dramatique national d’Aubervilliers – MC93 Hors les murs –, du 30 septembre au 13 octobre. Tél : 01 48 33 16 16/01 41