Les Vagues, d’après le roman de Virginia Woolf, traduction de Marguerite Yourcenar, conception et réalisation Pascale Nandillon et Frédéric Tétart

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Les Vagues, d’après le roman de Virginia Woolf, traduction de Marguerite Yourcenar, conception et réalisation Pascale Nandillon et Frédéric Tétart

Les Vagues de Virginia Woolf s’annonce comme un récit que se partagent six amis, pour un repas autour de l’absence d’un énigmatique septième dénommé Perceval. Ces voix intérieures revisitent l’enfance et la vie des uns et des autres, tels les mouvements maritimes qui vont et viennent, selon l’attraction régulière de la lune.

Dans la chambre où se tient la table des hôtes, la totalité du réel semble contenue, espaces et temps mêlés, paravents, cadres et portes mobiles à la François Tanguy.

Six personnages sont réunis pour deux repas autour de Perceval absent, l’ami fédérateur qu’ils attendent pour un premier repas, à l’occasion de son départ pour les Indes, quand le second repas intervient ensuite, après l’annonce de sa mort.

Rhoda, Jinny, Suzanne, Neville, Louis et Bernard font circuler entre eux un monologue dont la prose poétique est un trésor, distillant les visions du monde :

 » Certains s’embarqueront pour la France, d’autres pour l’Inde. Quelques-uns, sans doute, voient cette chambre pour la dernière fois. L’un de nous mourra peut-être cette nuit. Un autre fera  un enfant. Toutes sortes d’aventures, de combinaisons politiques, de tableaux, de poèmes, d’architectures, d’usines et de nouveau-nés nous doivent l’existence. La vie vient ; la vie s’en va. Nous créons la vie… »

La table représente le lieu de convivialité, un support proche de ces figures présentes ou ombres disparues, temps partagés et scènes évanouies : « Je ne crois pas à la valeur des existences séparées. Aucun de nous n’est complet en lui seul. »

À travers le beau spectacle de théâtre et l’installation plastique des metteurs en scène Pascale Nandillon et Frédéric Tétart, surgit un bel enthousiasme existentiel :

le paysage intérieur et onirique d’un imaginaire, surpris par la caméra agile de Frédéric Tétart qui capte les moindres détails du tableau : natures mortes, bouquet de fleurs colorées, feuillages, coquillages, colliers, carafes d’eau et verres à pied.

Le rêve des personnages tient à la sensation fugace d’être au monde – impressions désordonnées et sensuelles, visuelles, auditives, tactiles, gustatives, olfactives dans l’échange d’un jeu de couleurs chaudes et incessantes -, fleurs séchées, jeu d’ombre et de lumière, émerveillement d’être au monde et sentiment de solitudes séparées.

Sur l’écran, sont projetées des images de foule indienne, des vols d’oiseaux aux ailes immenses, des mouvements amples et silencieux dans une musique assourdie. Visions, images, éblouissements, paysages mouvants et changeants, le monde appartient à tous. Le Nil, l’Inde, Londres… Fantômes, ombres, présences indistinctes.

C’est l’effort – le principe de ténacité dans l’expérience constante des jours qui passent, soutenu par la profondeur incontournable du désir vivace – qui domine dans Les Vagues, une force de vie qui s’éloigne toujours de toute déception résignée.

L’appétit de la vie et la fascination de la mort sont étroitement solidaires, entre ténèbres et lumières. La mort de Perceval est significative ; elle délivre et elle sauve. Elle donne au fugitif la liberté, hors de lui-même et hors du temps, et aux survivants, elle accorde la plénitude absolue du sentiment de la vie et la force des rêves. .

Bernard s’accepte enfin en « un vieil homme un peu épais, aux tempes grisonnantes qui appuie le coude sur la table et tient de la main gauche un verre de vieille fine » :

« Et en moi aussi la marée monte. La vague se gonfle, elle se recourbe…  C’est contre la Mort que je chevauche, l’épée au clair et les cheveux flottant au vent comme ceux d’un jeune homme, comme flottaient au vent les cheveux de Perceval galopant aux Indes. J’enfonce mes éperons dans les flancs de mon cheval. Invaincu, incapable de demander grâce, c’est contre toi que je m’élance, Ô Mort ... »

Un magnifique éloge du hasard d’être ici et maintenant au bord de soi et de l’autre.

Avec des comédiens épris de poésie, Serge Cartellier, Nouche Jouglet-Marcus, Jean-Benoît L’Héritier, Aliénor de Mezamat, Sophie Pernette, Nicolas Thevenot.

Véronique Hotte

Théâtre du Soleil (Cartoucherie Paris XIIè), du 21 septembre au 9 octobre.

Tél : 06 15 64 11 73/06 19 05 56 89