La Déplacée ou la vie à la campagne de Heiner Müller, traduction de Irène Bonnaud et Maurice Taszman, mise en scène et adaptation de Bernard Bloch

La Déplacée ou la vie à la campagne de Heiner Müller, traduction de Irène Bonnaud et Maurice Taszman, mise en scène et adaptation de Bernard Bloch

Crédit Photo : Benoîte Fanton

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LA DEPLACEE OU LA VIE A LA CAMPAGNE – De Heiner MULLER – Mise en scne : Bernard BLOCH – ScŽnographie et costumes : Bernard BLOCH et Xavier GRUEL – Lumires : Xavier GRUEL puis Luc JENNY – Musique : Jo‘l SIMON – Avec : Djalil BOUMAR, Deborah DOZOUL, Ferdinand FLAME, Robin FRANCIER, Carla GONDREXON, Agathe HERRY, Hugo KUCHEL, Juliette PARMANTIER, Jeanne PEYLET – Au ThŽ‰tre du Soleil ˆ Paris – Le 2 mai 2016 – Photo : Beno”te FANTON

Dans « L’affaire de L’Émigrante, 1961 », (extrait de Heiner Müller – Guerre sans bataille, Vie sous deux dictatures, Une autobiographie, traduit de l’allemand par Michel Deutsch avec la collaboration de Laure Bernardi – L’Arche Éditeur), le dramaturge Heiner Müller revient sur l’écriture de L’Émigrante (1961) qui lui valut dès sa création l’interdiction de la pièce et l’exclusion de l’Union des Écrivains.

La mise en scène au Théâtre de l’École Supérieure d’Économie de la jeune République Démocratique Allemande est confiée à Bernhard Klaus Tragelehn, qui sera déporté un an dans les mines de charbon de Haute-Silésie à Klettnitz.

L’auteur écrit dans la proximité avec le travail de répétition, réécrivant les scènes, de la prose aux vers, se libérant du naturalisme. L’auteur et le metteur en scène n’ont pas conscience d’« avoir posé une bombe », alors que se construit le Mur de Berlin.

La pièce a été accusée de conspiration ourdie contre la direction du Parti.

Après la première, les comédiens ont toute la nuit récité le texte en révélant en quoi il était contre-révolutionnaire, anti-communiste et antihumaniste. Or, l’histoire de L’Émigrante est une peinture d’émancipation, et l’existence d’auteur d’Heiner Müller exige d’éviter la prison, il rédige ainsi son autocritique pour préserver sa liberté.

La pièce décrit les débuts du processus de l’industrialisation de l’agriculture en RDA, une question de niveau technique entre l’agriculture américaine et la soviétique.

La représentation officielle a eu lieu à Berlin bien plus tard en 1975 à la Volksbühne. La décennie suivante, l’auteur juge que L’Émigrante fait émerger en 1961 l’image d’un monde où il est possible enfin de penser différemment, tel l’éclat du conte et de l’utopie : « ce qui est dépeint, c’est une réalité remontant loin dans le temps, presque archaïque, dans laquelle tout est en mouvement, tout semble possible ».

Il est pourtant beaucoup question de malaise, lors de réunion de la « cellule » de la bourgade, de la Sécurité d’État, de la police, des menaces et des délations, de jugements diffamatoires donnés à l’emporte-pièce, selon le pouvoir égoïste de la parole et l’autorité abusive des uns et des autres. Jalousies, rivalités : tel trayeur de vaches devient bourgmestre, tel autre se pend plutôt qu’on ne lui enlève son cheval, tel commissaire aux quotas ne comprend jamais le paysan visité, tel autre encore entretient le désir de sa fille pour un tractoriste russe qui laboure gratis son champ.

Quant à la condition féminine, la pièce émet un doute sur la prétendue ouverture des camarades communistes révolutionnaires, nouveaux paysans ou gestionnaires durablement archaïques dans l’appréciation sociologique de la place de la femme.

L’émigrante délaissée par l’homme aimé, buveur de bière et père de son enfant, refuse de se marier à un autre camarade paysan : « J’étais à genoux, je viens de me relever et/ De me redresser de sous un homme/ Qui n’était pas le meilleur, pas le pire non plus / Et je devrais me recoucher sur le dos / Vite, sous un autre homme. »

Est déplacée une personne qui a dû quitter son pays lors d’une guerre ou d’un changement de régime politique, comme obligée de se refaire une patrie ailleurs.

La signification politique de la thématique de La Déplacée ou la vie à la campagne s’est dégagée pour Heiner Müller, lorsqu’a eu lieu en RDA la collectivisation de l’agriculture, en 1960, à travers un sentiment de liberté et d’indépendance inconnu : « Ce qu’il y avait d’amusant, c’est aussi que nous étions de mauvais garçons qui chient sur la chaise du professeur ». Les comédiens assis sur leur chaise ou bien debout, intervenant seul contre tous, ou en duo tandis que le chœur leur tourne le dos, sont issus de l’EDT 91, École départementale de Théâtre de l’Essonne, ils sont menés avec sûreté sous le regard scénique du metteur en scène Bernard Bloch.

Un spectacle de qualité muséale, un témoignage sur les contradictions du système communiste imposé à la RDA – la contradiction entre le discours du parti et la réalité brute, la désorganisation de la production agricole, la corruption des responsables locaux… Extraordinaire lucidité de Heiner Müller qui prévoit l’échec à venir.

Véronique Hotte

Théâtre du Soleil, Cartoucherie 75012 Paris, du 4 au 22 mai. Tél : 06 65 38 74 73

Une réponse à “La Déplacée ou la vie à la campagne de Heiner Müller, traduction de Irène Bonnaud et Maurice Taszman, mise en scène et adaptation de Bernard Bloch”

  1. Plutôt curieux la programmation en mai 2016 de cette pièce d’Heiner Müller, déjà traduite depuis 2007 en français… En pleine période de remise en cause des droits sociaux et de la loi Travail ‘Valls/El-Khomry’, il y a de quoi se poser quelques questions !!

    La mise en scène insiste finalement assez peu pas sur les conflits internes de la bureaucratie, somme toute toujours d’actualité, confrontée à la réalité concrète des problèmes paysans et à son mépris du peuple.
    Le choix d’acteurs non professionnels n’est pas la seule excuse. Ils se débrouillent bien ; c’est la mise en scène qui fait le choix d’une certaine platitude, tant dans les intonations systématiquement ‘attendues’, que dans de nombreux jeux de scène caricaturaux. Elle opte pour un autre parti-pris : l’amour en république démocratique, est toujours ridicule…lourdement même.
    Autre parti-pris assez lourd, le fait d’exhiber un journal français actuel – l’Humanité – comme support de la démonstration du discours totalitaire… Quand on sait le peu de poids actuel du communisme en France, on ne peut s’empêcher de sourire…
    La pièce d’Heiner Mûller visait justement le totalitarisme dans son essence, son arrogance à s’arroger un droit légitime de représentation des intérêts du peuple, alors qu’il ne favorisait qu’une petite nomenklatura de privilégiés. Quelle est la bureaucratie actuellement qui dirige en France ? L’Union Européenne ; celle-là même qui impose aux états d’’assouplir’ toutes les ‘contraintes’ pesant sur les ‘entreprises’ – surtout les multinationales… Cette bureaucratie de technocrates grassement payés – et corrompus à la solde de lobbies – dont la seule obsession est d’affaiblir les états et de détruire toutes les garanties citoyennes acquises depuis l’après seconde guerre mondiale, et dont les gouvernements de ‘droite’ comme de ‘gauche’ sont les relais depuis les années 1970.
    Il est donc intéressant de savoir qui a pu produire cette pièce, et cette mise en scène, dans le contexte politique actuel de remise en cause systématique des droits sociaux. Et bien cette pièce a été produite par la Drac, c’est à dire directement l’administration en charge des ‘affaires culturelles’. Drac nommée par qui ? Evidemment par le même gouvernement qui s’applique depuis maintenant 4 ans (ceux d’avant faisaient certes la même chose) de trahir tous les acquis sociaux issus de la période 1945/1955. Acquis sociaux dont la majeure partie a été votée par une coalition de communistes et de gaullistes qui à l’époque était farouchement opposés à la commission européenne. Curieux non ?

    En matière de bureaucratie et de mépris institutionnel des peuples, les plus célèbres dissidents communistes passés à l’ouest nous avaient pourtant prévenus, que ce soit Soljenitsine, ou Vladimir Boukovsky qui disait à propos de l’union (soviet) européenne imposée par manipulation et propagande constante des médias : « J’ai vécu dans votre futur et ça n’a pas marché. »…

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