Le retour au désert de Bernard-Marie Koltès, mise en scène d’Arnaud Meunier

Crédit photo : Sonia Barcet

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Le retour au désert de Bernard-Marie Koltès, mise en scène d’Arnaud Meunier

Madame Queuleu, employée âgée au service des tenants de la demeure familiale, est agacée par les querelles constantes des enfants de jadis, l’industriel Adrien et sa sœur Mathilde, revenue d’Algérie dans sa province natale française, avec ses deux grands enfants, pour réclamer ses biens patrimoniaux en dépit de son frère : « Car vous ne vous battez que par des mots, des mots, des mots inutiles qui font du mal à tout le monde, sauf à vous… Car cela ne me dérange pas que vous vous battiez ; mais faites-le en silence, qu’on n’en sente pas les blessures, nous, autour de vous, dans notre corps et dans notre tête. » La parole à la fois impérieuse et ludique bat son plein dans cette comédie bourgeoise qui met à mal les préjugés coloniaux et racistes des années 1960, quand certains ne pouvaient imaginer encore rendre un jour l’Algérie aux Algériens.

L’écriture poétique et percutante de Bernard-Marie Koltès – une langue dramaturgique ciselée et répétitive – fait tout simplement sens. Dans cette ville de région de l’est de la France, sont en présence les tenants d’une bourgeoisie de parvenus – ressortissants de famille d’industriels, préfet, police et autres autorités étatiques quelque peu troubles -, à côté d’employés français et algériens – Madame Queuleu et Aziz -, un parachutiste noir, et Saïfi, un Algérien dont le café part en fumée sous les explosifs fascistes.

L’œuvre politique et poétique de Koltès se penche sur le regard qu’on porte à l’autre – l’étranger, le différent et différant, selon toutes les acceptions derridiennes.

Trouver identité, place et existence reste un geste ou une entreprise fort difficile, pour ceux surtout qui ne rentrent pas dans les cadres policés de la convention. Mathilde, fille mère ou bien mère célibataire, d’après les appellations peu engageantes du temps, et qui a pris faits et causes pour l’Algérie contre les petits Français – sa fille se prénomme Fatima -, se demande à quelle patrie elle appartient, « même si les patries n’existent pas, nulle part, non ». En Algérie, elle est une étrangère et rêve de la France, et en France, elle est encore plus étrangère et rêve d’Alger : « Est-ce que la patrie est l’endroit où l’on n’est pas ? »

En fait, chacun ressemble à cet autre qu’il prétend ne pas être ; il suffit d’écouter la parabole d’Adrien, le frère haï, pour lequel les singes et les hommes sont peut-être mêmes : « Alors ils se contemplent, se jalousent, se disputent, se donnent des coups de griffes et des coups de gueule ; mais ils ne se quittent jamais, même en esprit, et ils ne se lassent pas de se regarder. »

La mise en scène d’Arnaud Meunier – directeur de la Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national -, que porte la scénographie lumineuse – un rêve enfantin – de Damien Caille-Perret, installe son petit monde dans une maison boîte ou bocal, entourée d’un jardin – pelouse tondue avec son petit raidillon latéral.

La représentation éclate comme un feu d’artifice, entre comédie, satire et rire mi-figue mi-raisin : on s’amuse et on vit pleinement sur le plateau – une vraie place.

Tout est dit – les pensées que l’on voulait taire et les sentiments aléatoires – dans une bonne humeur communicative que les comédiens aguerris se font un plaisir de soutenir. Catherine Hiégel et Didier Bezace forment un duo fraternel inénarrable et crédible – amour et haine –, déployant une santé, une énergie et une rage vindicative exactement soutenues, se présentant au plus haut de leur forme d’acteurs et de joueurs nés. Mais il faut rendre aussi hommage aux autres comédiens nombreux qui ne dérogent pas. Un beau travail au service de Koltès dont la résonance est profonde.

Véronique Hotte

Théâtre de la Ville, du 20 au 31 janvier. Tél : 01 42 74 22 77