Deux Ampoules sur cinq, librement inspiré des Notes sur Anna Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa, adaptation et mise en scène de Isabelle Lafon

Deux Ampoules sur cinq, librement inspiré des Notes sur Anna Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon

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Régulièrement, et de spectacle en spectacle, mais non selon une continuité stricte, Isabelle Lafon explore, sans jamais le quitter, l’univers de la grande poétesse russe, Anna Akhmatova, dont l’œuvre poétique, bâillonnée et censurée par le stalinisme, circulait clandestinement tandis que deux de ses maris étaient, l‘un fusillé, l’autre déporté, et que son fils passait dix années de sa vie en prison.

A la fin du spectacle Deux ampoules sur cinq – un titre technique et si peu poétique mais comment restituer au mieux le fonctionnement quotidien de la lumière dans l’appartement communautaire ? -, la comédienne et metteure en scène dit en russe un poème. Un moment d’émotion, entendre cette parole lointaine, comme si elle était chantée, issue de la douleur : la langue russe véhicule délicatement le désir et la vie.

Isabelle Lafon dédouble à travers son installation scénique la vision de la poésie subversive de cette époque noire – purges soviétiques, disparitions – en installant près d’Akhmatova, Lydia Tchoukoskaïa, autre femme de lettres, écrivain et critique de littérature pour enfants, qui apprend à connaître son aînée dans la joie.

Le mari de Lydia a été arrêté en 1938 ; celle-ci reste sans nouvelles durant des années avant d’apprendre qu’il a été immédiatement fusillé dès son arrestation.

La jeune femme apprend les poèmes d’Akhmatova par cœur avant de les faire disparaître pour que la censure ne puisse s’en saisir.

Lydia rencontre quotidiennement Anna et tient un journal de leurs entretiens, ce sont ces bribes écrites dans les années 1937, 1938, 1939 … dont le spectateur s’empare.

Et le titre Deux Ampoules sur cinq ne fait finalement que filer la métaphore de l’absence de lumières de ces années-là, au sens propre et au sens figuré, où tout devait être caché dans l’ombre – soi et sa vérité – pour ne pas être dénoncé ni détruit.

Quand le spectateur entre dans la salle du Terrier du Théâtre de Saint-Denis, on lui propose une lampe de poche qui éclaire les deux femmes sur la scène : ce sont donc des rais timides de lumière qui balaient les visages des deux écrivaines, et la plus jeune redécouvre son propre journal sous le rai d’une lampe de poche personnelle.

Ombre et enfer, nuit sans fin, les lumières de la vie sont bannies mais le rai lumineux de la lampe torche n’en reste pas moins un feu humble de repère existentiel.

Isabelle Lafon et Johanna Korthals Altes sont deux fées, l’une brune et l’autre blonde, installées dans leur antre sombre et penchées sur un amoncellement de livres posés sur la table de travail, leurs vrais outils de libération et de survie loin de tous les enfermements, physiques, moraux et philosophiques. Un beau pari subtil.

Véronique Hotte

Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, du 2 au 19 décembre. Téll : 01 48 13 70 00

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