Trois Ruptures, de Rémi de Vos (Actes Sud-Papiers), mise en scène de Othello Vilgard

Crédit Photo : Othello Vilgard

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Trois Ruptures, de Rémi de Vos (Actes Sud-Papiers), mise en scène de Othello Vilgard  

Un homme (Pierre-Alain Chapuis) et une femme (Johanna Nizard) se font résolument face ou se tiennent de biais, se surveillent du coin de l’œil, s’esquivent, l’un tournant le dos à l’autre, ou encore l’un assis et l’autre debout, victime et bourreau, ou l’inverse, pour ces Trois Ruptures de Rémi de Vos.

On observe la vie du couple sur le plateau de théâtre comme des insectes sous le regard entomologiste du metteur en scène et scénographe Othello Vigard. L’homme et la femme semblent comme enfermés dans une boîte – la vitre transparente en plexi ou la baie vitrée de terrasse avec les murs blancs éblouissants d’un appartement d’aujourd’hui.

Lui et elle adoptent dans leur belle urbanité des tenues bourgeoises soignées, et leurs propos citronnés et sarcastiques fusent, par micro HF interposé. L’ambiance du dîner semble apprêtée pour ne pas dire compassée (Sa Chienne) : l’homme en gourmet complimente sans fin la femme sur la qualité de son dîner… « Mais c’est pour mieux te manger », pourrait avancer la belle du conte, à la façon menaçante du loup.

Si le tendre agneau est si bien repu, c’est qu’il sera bientôt abandonné, éventualité à laquelle celui-ci ne mord pas quand la louve s’explique si peu : « Je te quitte…Non, je te quitte vraiment…Je te quitte pour de bon… C’est simple à comprendre… »

Et l’homme quitté, loin d’acquiescer, interroge : «…Pardon ?…Blague ?… Pas blague ? … Comprends pas … Tu me quittes ?… Tu veux me quitter ?… »

L’étonnement est tel qu’il fait sourire, surtout quand on devine que la chienne, compagne de l’homme, est jalousée à la façon d’une maîtresse.

Dans Pompier, l’homme n’a pas de maîtresse, mais un amant – un pompier – et le mari va connaître dans la journée deux ruptures, avec sa femme et avec son amant. Celle-là précise : « Nous ne sommes pas obligés de vivre ça dans le drame… Reprends-toi …Respire à fond…Respire… »

Dans Un Enfant, le père et la mère, éprouvés par la tyrannie de leur fils de cinq ans, sont empêchés d’échanger librement et finissent par se séparer: « Oui ça va mais parle plus bas. »

Le personnage de Johanna Nizard est celui d’une femme solide, tenace et décidée, tandis que Pierre-Alain Chapuis joue à merveille le doute, l’hésitation et la velléité.

Les deux interlocuteurs n’ont guère besoin de s’expliquer plus amplement, quelques mots suffisent, tant leurs conditions de vie modernes sont identifiables d’emblée. Relations difficiles entre les êtres dans un monde rapide, anonyme et cinglant.

Le rire du spectateur est libérateur car chacun se reconnaît dans ces réparties ironiques et facétieuses, acides, âcres, amères et désobligeantes, qui touchent directement le sentiment de la dignité chez l’interlocuteur, brutalement déstabilisé.

La représentation de Trois Ruptures agit chez le spectateur comme une analyse de la condition humaine dans la légèreté et la désinvolture, le goût du jeu et le plaisir du verbe, un verbe qui tire plus vite que son ombre et provoque le sourire et le rire. En ces temps peu enchanteurs, le rire n’est pas si courant dans une salle de théâtre.

Véronique Hotte

Le Lucernaire, du 26 novembre au 31 janvier. Tél : 01 45 44 57 34

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