L’Opéra de Quat’sous, texte Bertolt Brecht, musique Kurt Weill, avec la collaboration d’Elisabeth Hauptmann, adaptation et mise en scène Thomas Ostermeier, direction musicale Maxime Pascal, à la Comédie-Française.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie-Française.

L’Opéra de Quat’sous, texte Bertolt Brecht, musique Kurt Weill, avec la collaboration d’Elisabeth Hauptmann, adaptation et mise en scène Thomas Ostermeier, direction musicale Maxime Pascal, traduction Alexandre Pateau, adaptation et mise en scène Thomas Ostermeier direction musicale Maxime Pascal. Avec la troupe de la Comédie-Française, Véronique Vella, Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Birane Ba, Claïna Clavaron, Nicolas Chupin, Marie Oppert, Sefa Yeboah, Jordan Rezgui et le chœur et l’orchestre Le Balcon. 

Londres, quartier de Soho, Jonathan (Christian Hecq) et Celia Peachum (Véronique Vella) s’inquiètent des fréquentations peu recommandables de leur fille Polly (Marie Hoppert) et de son mariage projeté avec l’insaisissable bandit Macheath (Birane Ba) qui est déjà marié avec Lucy (Claïna Clavaron), la fille du chef de la police Brown, vieil ami de Macheath. 

Polly semble décidée à épouser celui qui sévit dans les bas-fonds londoniens, et fréquente assidûment les prostituées, dont Jenny (Elsa Lepoivre) qui le trahira. Dans une écurie de Soho a lieu la cérémonie ; si les plus fidèles de Macheath y sont conviés, les Peachum apprendront trop tard le mariage filial; Peachum s’enrichit par ailleurs en louant les rues de Londres aux mendiants.

Désespéré par cette alliance qui pourrait nuire à ses affaires, le couple fomente de livrer le malfrat à la police pour qu’il soit pendu. Or, le chef de la police Brown (Benjamin Lavernhe) n’est autre que l’ami de longue date et l’obligé de Macheath… Qu’il s’agisse de sauver sa peau ou de le livrer à la police, prostitués, bandits et petits bourgeois, tous ont entrepris d’en finir avec Macheath, jusqu’à un ultime affrontement entre Brown et Peachum. L’un menace de boucler toute cette faune interlope indésirable ; l’autre de faire vivre un enfer au représentant de l’ordre. 

Le chef de la police capitule et fait arrêter Macheath. Au moment où il doit être pendu, coup de théâtre : la reine décide de le gracier, lui offrant un château et une rente pour qu’il puisse y couler des jours heureux avec Polly. À l’opéra, les choses finissent ainsi, mais jamais dans la vraie vie. 

« Chacun des trois actes de la pièce se termine par un grand finale; s’y révèle un certain regard politique, qui parle du monde et de son ordre sociétal. Brecht y exprime des positions nihilistes. Dans l’esprit de cette pièce, se retrouve un sentiment d’impuissance à changer le monde, ce même sentiment éprouvé aujourd’hui. Ce pessimisme désespéré va de pair avec une forme de satire du monde de l’opéra », indique le metteur en scène Thomas Ostermeier. 

Alors que L’opéra de Quat’sous est situé par la plupart des mises en scène à Londres, dans un monde romantique de mendiants et de criminels – façon Hugo ou Dickens -, dans un XIXe siècle imaginaire et plein de mélo, le spectacle de cette première version de 1928 (avant celles de 1932 et 1949) relèverait plutôt d’une ambiance cabaret franco de port, qui dénonce le Mal là où il est, engageant à se méfier de tous les fascisme, une fois la police ayant été révélée comme fourbe.

L’esthétique scénographique d’avant-garde relève du collage illustré de vidéo – agit-prop, dadaïsme, prétendue puissance du constructivisme… -, en référence non seulement à l’utopie communiste faisant rêver l’Europe dans les années 1920, quand Brecht pressent, dès les années 1930, la chute du songe communiste contredit par la terreur stalinienne. 

Nul jugement moral sur les personnages ni d’enjeux mélodramatiques dans le monde du crime. Ce même Brown, sous le chantage de Peachum furieux, trahira aussi Macheath qui ne poursuit pas d’objectifs politiques. Son problème est plutôt de réussir à dissimuler ses conquêtes amoureuses aux autres femmes qu’il courtise. Birane Ba s’affirme, malgré lui, comme un gentil Macheath.

Brecht donne à voir crûment un monde dans lequel les criminels aisés singent le mode de vie bourgeois des spectatrices et des spectateurs (T. Ostermeier), avec l’audace de proclamer dans le célèbre « Deuxième finale de Quat’sous » : « D’abord, la graille – et la morale, après. »

La traduction d’Alexandre Pateau est assez plate et terne dans ses réactualisations obligées – un bémol. Mais la troupe du Français s’amuse comme il se doit, pour que la fête continue, entre les pitreries inépuisables de Christian Hecq, celles de Benjamin Lavernhe qui ne se portent pas si mal, la gouaille de Véronique Vella, la prestance d’Elsa Lepoivre, le talent espiègle de Marie Oppert…

Véronique Hotte

Du 23 septembre au 5 novembre 2023 en alternance, à 20h30 et matinées à 14h, Salle Richelieu, Comédie-Française Place Colette 75001 – Paris. Tél :01 44 58 15 15 http://www.comedie-francaise.fr