Mauvaises Filles ! de Sonia Chiambretto, mise en scène de Sandrine Lanno, au Théâtre du Rond-Point à Paris.

Crédit photo : Romain Kosellek.

Mauvaises Filles ! de Sonia Chiambretto, mise en scène de Sandrine Lanno, scénographie Camille Rosa, lumière Dominique Bruguière, costumes Nathalie Paillandre, son Cédric Collin et Bénédicte Villain., collaboratrice artistique Isabelle Mateu. Avec les comédiennes Lola Blanchard, Evelyne Didi, Paola Valentin et la musicienne Bénédicte Villain.

Mauvaises Filles ! est une pièce de Sonia Chiambretto, commandée par la metteuse en scène Sandrine Lanno,  et inspirée de matériaux documentaires, d’archives, de recherches, d’articles sociologiques et historiques, ainsi le livre de Véronique Blanchard, VAGABONDES, VOLEUSES, VICIEUSES – Adolescentes sous contrôle, de la Libération à la libération sexuelle ( coll. Genre !, édit. François Bourin). Le texte théâtral de l’auteure impliquée dans la cité est issu de rencontres, d’interviews, d’ateliers d’écriture avec des mineures placées en Centre Educatif Fermé (CEF).

Mauvaises Filles ! évoque l’adolescence de certaines filles, qui ont « mal viré », sont devenues « mauvaises », comme on disait « mauvais garçon » jeune individu infréquentable, malfrat et bandit dont il fallait se méfier. Ces mineures des années 50 et d’aujourd’hui sont dites « délinquantes », qu’elles fuguent du domicile familial, qu’elles commettent petits crimes ou délits.

Sur la scène, se tiennent celles qu’on enferme après que le tribunal pour enfants les a placées dans des institutions disciplinaires d’enfermement. Ces drôles de jeunes filles en fleurs se caractérisent, commente Sandrine Lanno, par le refus des normes imposées au quotidien : les attaches familiales, la fuite de la réalité, le désir de liberté, d’égalité et d’indépendance, les difficultés sociales, le choix de vivre au jour le jour, sans contrainte, l’allergie à l’enfermement.

Jeunes filles inventoriées comme dévergondées, déviantes, débauchées, insoumises, insolentes, indisciplinées, incorrigibles, irrécupérables, perdues, perverses, prostituées, rebelles… L’inventaire est long des mille possibilités de sortir un jour du chemin obligé, tracé par la convention et la bienséance. La société – justice et famille -, se plaît à enfermer le genre féminin pour mieux le protéger, le préserver, le recadrer, le redresser, le rééduquer, le relever, le réinsérer, le ré-orienter.

Les années 1950 à 2023 couvrent plus de soixante-dix ans de réactualisation, de ré-ajustement et d’assouplissement des esprits rigides, quant aux filles. Les deux époques différentes dégagent étrangement un même désir féminin d’indépendance, trop bridé, comparé à celui des garçons.

Sur le plateau, à jardin, une cage haute de ferme avec ses grilles – refuge et poulailler pour volatiles dont on devine les plumes envolées -, soit la chambre des filles avec le poster d’un cheval élancé – métaphore de la liberté -, un espace privé de repli intime dévolu au rêve et à l’imaginaire. 

Soit l’abri privilégié de l’une d’elles – une forte tête – interprétée par la vibrante et spectaculaire Lola Blanchard, épanouie, provocatrice et amusée, qui mène la danse avec plaisir et dont le jeu scénique est l’expression d’une émancipation aboutie. 

Ses deux autres comparses forment avec elle un trio significatif, affligées du sceau de la honte sociale. Porteuses de leur singulière extravagance, elles expliquent avec une sérénité inattendue qui elles sont, au-delà de la douleur et de la tension tyrannique qui accablent  leur for intérieur, – inquiétude et de angoisse -, abîmées dès l’enfance par un contexte familial défavorable.

Paola Valentin, plus réservée que la première citée, déploie une paisible présence, sensible et attachante, à l’écoute attentive de ses compagnes, et apte aussi aux éblouissements personnels.

Quant à Evelyne Didi, tendance années 50, elle sait être cette admirable comédienne qu’on apprécie, espiègle et facétieuse quand elle prend les chemins de traverse, autonome et inventive.

Avec le violon de Bénédicte Villain qui accorde au spectacle – tendance film noir – des temps de pause, de répit, de respiration, d’envolées poétiques émouvantes et lyriques. Et la performance scénique s’accomplit à la façon d’un voyage re-vivifiant dans des parcours existentiels pourtant chaotiques, ce qui redonne dignité à des femmes fières, traditionnellement méprisées par les bien-pensants et qui déploient une tonicité vaillante et une combativité revigorante imposant le respect.

Véronique Hotte

Du 7 mars au 2 avril 2023, du lundi au samedi 21h, dimanche 15h30, relâche le lundi et les 12 et 14 mars, au Théâtre du Rond-Point – Paris 75008.