
Crédit photo : Pascale Cholette.
On ne paie pas ! On ne paie pas !, texte de Dario Fo et de Franca Rame, traduction et adaptation de Toni Cecchinato et Nicole Colchat (L’Arche Editeur), mise en scène de Bernard Lévy. Collaboration artistique Jean-Luc Vincent, scénographie Damien Caille-Perret, lumières Christophe Pinaud, costumes Claudia Jenatsch, son Jean de Almeida.
Dario Fo, acteur précis et généreux, auteur, scénographe italien, conquiert une renommée mondiale en 1969 avec Mistero Buffo, inspiré de la culture médiévale, épopée des opprimés auxquels le « jongleur » apprend la révolte par le rire. Avec Franca Rame, son épouse et compagne d’aventure artistique, ils choisissent en 1968 de jouer dans les salles publiques, souvent peu praticables, gérées par des associations culturelles de gauche, privilégiant une forme d’organisation – le collectif théâtral la Comune -, et conçoivent des pièces qui puissent circuler librement – de la documentation à la discussion et à l’intervention dans les luttes locales.
Non si paga ! (Faut pas payer!, 1974), écrite en liaison avec la campagne d’auto-réduction des factures en période d’inflation, révèle un état d’esprit enjoué et frondeur. Le collectif n’a pas survécu à l’escalade du terrorisme: une coopérative lui a succédé à partir de 1978. Écrite sur fond de luttes ouvrières à Milan, la satire politique est réécrite en 2008, pendant la crise des subprimes.
Le metteur en scène averti Bernard Lévy s’empare de cette comédie à la mécanique burlesque incandescente – « machine de guerre » – pour mettre en valeur la portée jubilatoire de la farce. Une critique acerbe et truculente de la société de consommation, réactualisée et moquée avec humour.
Un jeu espiègle sans fin sur l’absurde et les dysfonctionnements de nos sociétés occidentales.
« Nous sommes sous-payés, donc nous ne payerons pas ! Sous-payés, on ne paie pas ! Et ça, c’est pour tout l’argent que vous nous avez volé depuis des années et des années sur tout ce qu’on achète ! »
On ne paie pas ! On ne paie pas ! Un titre-slogan, le cri commun de femmes affamées et en colère devant la flambée des prix : des temps récurrents, si on considère l’actualité présente immédiate. Temps d’opposition, de refus et de rébellion qui suivent de trop longues sessions de soumission.
Antonia – vivante et insatiable Anne-Elodie Sorlin – va jusqu’à refuser de payer son compte à la caisse du supermarché. Elle saisit les moindres produits accessibles sur les rayons du commerce, du millet pour canaris, de la pâtée pour chiens jusqu’à des têtes de lapins surgelées… La verve de Dario Fo est à son zénith, inventant les situations les plus incongrues comme les plus cocasses.
Mais où cacher le butin qu’on a dérobé un peu trop vite, emporté par tant d’élan et d’énergie libératrice ? La police et les gendarmes ne sont pas loin, et le rapport de force se fait d’abord avec les tenants de l’ordre. Une course-poursuite burlesque à la Laurel et Hardy ou à la Chaplin.
Margherita – fantaisie saugrenue de Flore Babled -, amie d’Antonia qui la suit partout, est étonnée des facéties de celle-ci. Luigi , son époux – Grégoire Lagrange -, est ouvrier de nuit et ami d’usine de Giovanni, le mari d’Antonia. Margherita, entre peur et goût de l’inouï, cache les vivres dérobés sous un imperméable de la fin des années 60, prêtant à confusion pour ce qui serait une grossesse, et voici l’amorce folle d’une invention inénarrable – une transplantation de bébés.
Un jeu endiablé de chats et de souris dont les bonds et les rebonds n’en finissent pas de chahuter le petit monde d’Antonia et de Giovanni, son époux trop « réglo », à son goût – Eddie Chignara dans le rôle est, comme à son habitude, à l’aise sur la scène, volatile burlesque criaillant, ou bien maître de maison rigoureux investi de ses responsabilités nobles de mâle suffisant et arrogant.
Quant à la police et la gendarmerie, elle est représentée avec malice par Jean-Philipp Salério – magistral dans le rôle d’un brigadier altermondialiste – et Elie Chapus joue les seconds couteaux.
Un spectacle grotesque et bouffon qui fait montre d’une énergie et d’un sens alerte du plateau.
Véronique Hotte
Du 3 au 18 mars 2023, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h, au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manoeuvre 75012 – Paris. Tél : 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr