Trois Femmes (L’Echappée), texte (Actes Sud-Papier) et mise en scène de Catherine Anne.

Crédit photo : Bellamy.

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Trois Femmes (L’Echappée), texte (Actes Sud-Papier) et mise en scène de Catherine Anne.

 Précarisation des emplois de service, chômage des jeunes sans formation, angoisse de la grande vieillesse. Peut-on se libérer – plus ou moins ou aucunement – des déterminismes sociaux qui semblent installés à vie, de par les origines ? Une telle arrêtée dans l’aisance des bien-nés et telle autre dans la gêne des bas revenus.

Diplômée « auxiliaire de vie », la mature Joëlle est engagée comme garde de nuit chez une dame riche et âgée, Madame Chevalier. Celle-ci se montre une employeuse odieuse – sa propre fille avec laquelle elle n’a plus aucune relation a fait la demande de cette aide -, mais l’employée est prête à tout pour garder son emploi.

Joëlle a charge d’une fille trentenaire, elle-même mère d’une petite fille, et Clotilde Mollet dans le rôle de l’aide familiale incarne les poncifs traditionnels du genre – humilité, soumission, engagement sans réserve pour un service peu valorisant.

Or, une jeune femme aux abois fait irruption chez la dame dont s’occupe Joëlle, soit la propre fille de l’auxiliaire qui s’immisce entre les murs du bel appartement bourgeois, faisant bouger les certitudes qui posent trop vite les frontières de classes.

Il ne plaît guère à la mère que sa fille force le destin, de quelque façon que ce soit.

Dans le rôle de la trentenaire, lassée d’une « docilité » sociale qu’elle a fait sienne depuis trop longtemps, et qui se rebelle, Milena Csergo, vindicative, est admirable.

Une histoire sans l’Amour, mais avec mille remous affectifs et des enjeux d’argent, selon l’auteure et metteuse en scène Catherine Anne. L’ont intéressée les relations nouées entre des femmes travaillant au domicile d’autrui et leurs rémunératrices.

Trois femmes puissantes jonglent sur le plateau de scène, entre peur de mourir et désir de vivre, avec la question de la filiation, qu’on soit du bon ou du mauvais côté.

Les enfants peuvent s’éloigner de leurs parents, qu’ils soient fortunés ou pas, et la solitude est irréversiblement la même à travers un sentiment d’abandon et de rejet.

Violence et douceur, âcreté des affrontements frontaux et angoisse des non-dits.

Une histoire de mensonges obligés, entre jeu et réalité, pour rêver une vie meilleure.

Le décor d’Elodie Quenouillère installe l’action sur deux niveaux, avec d’un côté, l’intérieur cossu de la vieille dame indépendante et volontaire que joue à merveille la grande Catherine Hiégel. Un fauteuil où s’asseoir, près d’un ascenseur esquissé.

De l’autre côté, à cour, sur un plateau modeste, deux ou trois marches plus bas, sont installés une table de cuisine et ses sièges design, le foyer modeste de l’auxiliaire de vie et de sa fille sans emploi, de sa petite fille encore et du compagnon de l’auxiliaire.

La rencontre improbable entre les deux milieux sociaux antithétiques s’accomplira pourtant, slalomant entre la seule joie d’être au monde et la peur de le quitter bientôt.

Un trio tonique, une partition réglée au cordeau d’où ne s’échappe nulle fausse note.

Véronique Hotte

Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 – Paris, du 27 novembre 2019 au 5 janvier 2020, à 19h du mardi au samedi, à 16h le dimanche. Tél : 01 45 44 57 34.