Moi, Bernard, adaptation inédite de la correspondance de Bernard-Marie Koltès, adaptation de Claire Cahen et Jean de Pange, mise en scène de Laurent Frattale, conception de Jean de Pange.

Crédit photo : Marc Philippe

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Moi, Bernard, adaptation inédite de la correspondance de Bernard-Marie Koltès, adaptation de Claire Cahen et Jean de Pange, mise en scène de Laurent Frattale, conception et interprétation de Jean de Pange.

Metteur en scène et comédien, Jean de Pange travaille régulièrement l’œuvre de Bernard-Marie Koltès, en quête de ses écrits – lettres, récits d’enfance -, et de témoignages de ses proches, d’interviews, que l’auteur a pu donner au fil du temps.

Le comédien passe son enfance à Metz, ville d’origine du dramaturge tôt disparu, qui plus tard sera un auteur de prédilection pour Jean de Pange. Dans Moi, Bernard – adaptation inédite de la correspondance et des interviews de l’auteur – c’est à l’homme que l’acteur se confronte, une existence fascinante qu’il transmet à plaisir.

Une plongée dans le travail littéraire, les doutes et les passions d’un grand écrivain qui a su donner la parole sur scène à ceux qui y sont trop rarement représentés.

« Je pars pour le Sénégal. Retourner voir où devraient être mes racines pour découvrir une nouvelle fois qu’elles n’y sont pas, et revenir ici pour prendre le temps de me les réinventer là-bas. »

De l’étudiant qui rate l’inscription à l’école du TNS au dramaturge de renommée internationale qui lutte contre la maladie jusqu’à sa mort le 15 avril 1989, le spectacle en solitaire –Moi, Bernard – traverse les vingt années d’écriture de Koltès, à travers le prisme de sa correspondance personnelle, dont ses Lettres. (Ed. Minuit.)

Le texte est conçu tel un monologue, une adresse au public, selon l’âge de l’auteur.

Les destinataires des lettres ne sont pas portés à la connaissance du spectateur qui du coup endosse le rôle de confident, d’interlocuteur et de destinataire universel.

Pour Jean de Pange, le challenge dramaturgique s’est révélé ludique : Bernard-Marie Koltès, faiseur de personnages, devient, par ses propres mots, le protagoniste.

Un conte ?  Un spectacle ? L’autobiographie d’un Je ? Une distance à cultiver ?

Moi, Bernard est un tissage entre citation et interprétation, entre conférence et lecture, entre théâtre documentaire et théâtre de verbe.

La parole émise par le protagoniste dessine le portrait d’un jeune homme doté d’une conscience aiguë non seulement de la violence mais de la beauté du monde.

Le spectacle, mi- conférence et mi- représentation, est une proposition poétique et biographique qui ne cesse d’interroger la place du théâtre dans la société.

Et aussi, en même temps, peut-on réfléchir sur le sentiment paradoxal et non moins vivant de Koltès sur l’art du théâtre : « Je déteste le théâtre car ce n’est pas la vie. Mais j’y reviens toujours car c’est le seul endroit où l’on dit que ce n’est pas la vie. »

Dans la préface à Lettres de Bernard-Marie Koltès, François Koltès, son frère, écrit :

« On voit ici un homme se construire : à vingt ans, il fait le choix définitif d’écrire pour le théâtre puis, s’appuyant sur tout ce qui est possible, persévère dans sa voie jusqu’à l’accomplissement de sa volonté. Outre une lucidité singulière sur lui-même, on voit aussi se révéler une conscience politique globale du monde et, dans le même temps, du principe de l’être, qui trouvera son accomplissement au moment de l’écriture de La Nuit juste avant les forêts, et continuera d’être la substance sous-jacente de l’œuvre jusqu’à la fin. »

Solitude des voyages et de celui qui écrit, d’un côté, et attachement à la famille avec les lettres à la « Petite maman » et à une communauté d’amis, de l’autre côté.

L’enthousiasme, l’élan, et les mouvements de plaisir joyeux rythment l’épopée abrégée de l’écrivain, talentueux et attachant, saisi aussi par le doute et l’amertume.

L’écrivain n’a cessé de réfléchir à une écriture de théâtre significative  – amour de la langue française et de ses longues périodes élaborées, ludiques et répétitives,  enclines à la précision sémantique et à l’emploi des subjonctifs présents et passés.

Qu’on lise Combat de nègre et de chiens ou Dans la solitude des champs de coton, l’adresse à l’autre est essentielle, celui dont on ne soupçonnait pas la présence légitime – la révélation d’une vision prémonitoire sur la réalité des migrations contemporaines issues de tous les continents, celles d’un présent qui déborde

Un compte-rendu fidèle des aspirations artistiques d’un créateur rare.

Véronique Hotte

La Caserne, 116, rue de la Carreterie à Avignon. Tél : 04 90 39 57 63, jusqu’au 22 juillet à 15h, relâche les 9 et 16 juillet. Salle des Fêtes de Bussang, du 4 août au 1ERseptembre, les dimanches à 20h.