Sedruos, d’après l’œuvre Entends-moi de Cécile Ladjali, mise en scène de Gwenola Lefeuvre à l’International Visual Theatre (I.V.T.) Dès 10 ans.

 

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Sedruos, d’après l’œuvre Entends-moi de Cécile Ladjali, mise en scène de Gwenola Lefeuvre à l’International Visual Theatre (I.V.T.) Dès 10 ans.

Privés, totalement ou partiellement, du sens de l’ouïe, le sourd et la sourde sont l’objet tantôt d’une certaine commisération, qui s’illustre autant par l’emploi d’un euphémisme comme en français malentendantque par des expressions péjoratives, tantôt d’une certaine admiration paradoxale, liée sans doute à l’indifférence et au détachement qu’ils affichent, bien malgré eux, à l’égard du vacarme environnant.

La langue des sourds-muets ou langue des signes est muette et ne recourt qu’au geste, une langue qui a ses évolutions propres, ses techniques d’abréviation, ses jeux de mots fondés sur des ressemblances visuelles entre signes, sa poésie propre.

Le travail de traduction – qui donne en signes, qui « signe » un discours oral – a ses difficultés et ses nuances, et ne se résume pas à une pure version lexicale. La langue des signes est la véritable langue maternelle des sourds totaux, et la coupure majeure passe entre ceux dont la langue maternelle est gestuelle et les autres.

« Je suis sourde, je suis sourde avant d’être femme. Ma vie est silence. Ma vie est gestes. Je suis sourde avant d’être femme. Femme, je n’ai pas le temps. Pas le temps d’y penser. Il me faut d’abord me faire  comprendre. Signer. Signer. Signer. »

Thumette Léon, directrice artistique sourde de 10 Doigts Compagnie et comédienne a voulu raconter des histoires de femmes sourdes pour les transmettre aux générations futures et nourrir l’Histoire des sourds. La langue des signes, interdite longtemps, n’a pu témoigner des sourds et encore moins des femmes sourdes.

Accompagnée de Laurène Loctin, journaliste sourde, Thumette Léon a questionné une trentaine de femmes sourdes sur leur vie, leur parcours et leur vision du monde : «  Que signifie être une femme sourde aujourd’hui ? »

Pour tous, celles-ci sont identifiables comme des femmes sourdes, dans la rue, au supermarché, à l’école, dans le métro, partout. La difficulté de communiquer avec les  entendants ressemble à un parcours de combattante semé d’embûches, d’obstacles.

Courir, bifurquer toujours et ne pas aller directement au but qu’on s’est donné pour se faire enfin « entendre », prendre le temps, prendre un temps que les entendants ne tolèrent pas et ne négocient pas, cloîtrés paradoxalement dans leur normalité.

La femme est davantage bafouée – humiliée, infantilisée, comparable à une non personne, ni autonome ni mature, ni responsable ni raisonnante. Elle subit les coups d’un mari entendant qui s’arroge le droit de la comprendre et la réduit… au silence.

« Se sentent-elles différentes des entendantes ? Sont-elles juste des femmes ou des sourdes ou les deux ? Quels sont selon elles leurs points communs et leurs différences avec les entendantes ? »

L’écriture de Cécile Ladjali met en lumière ces récits en créant un texte théâtral, porté par l’écriture scénique de Gwenola Lefeuvre qui a su mêler paroles de femmes sourdes et témoignages à une jolie chorégraphie « éloquente », articulée à deux.

Sur scène, le corps et ses signes, la voix également s’expriment, entre théâtre et mime. Sedruos (Sourdes à l’envers) est un spectacle bilingue LSF-Français, mêlant théâtre et danse avec Thumette Léon et Arnold Mensah, comédien entendant.

Les deux interprètes s’associent sur la scène, formant un couple uni aux gestes tendres et à la danse harmonieuse, ou au contraire, s’écartent l’un de l’autre dans des scènes d’incompréhension – coupure et brisure – qui les éloignent du sens recherché.

Tous les deux signent leur discours, ou au contraire, le comédien parle oralement tandis que la comédienne continue de signer sans cesse, dépensant son énergie.

Le spectacle fait l’éloge de la culture sourde et de la langue des signes pour un duo admirablement chorégraphié, à la fois léger et grave, tonique et inventif, mêlant avec tact et talent la difficulté d’être à des envolées lyriques aériennes – corps et âme.

Véronique Hotte

International Visual Theatre (I.V.T.), 7 Cité Chaptal 75009, du 7 au 17 février, le jeudi 19h, le vendredi 20h, le samedi 20h et le dimanche16h. Tél : 01 53 16 18 18

Théâtre du Cercle, Rennes (35), le 9 mars 2019 à 20h30