L’Ecole des femmes de Molière, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig

Crédit photo : Elisabeth Carecchio

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L’Ecole des femmes de Molière, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig

 En insérant dans L’Ecole des femmes (1662) le motif du « confident inapproprié » – le jeune Horace se jetant sans le savoir dans la gueule du loup puisqu’il raconte son aventure amoureuse avec Agnès à son rival même, le barbon Arnolphe qui « garde » sa pupille pour pouvoir l’épouser ensuite – un cadre de précaution inutile -, Molière use ainsi d’une fonction répétitive qui relève des fondements de sa dramaturgie :

« Il instituait un lien d’amitié entre le galant et le tuteur rendant plus cruel encore le crescendo des déconvenues de celui-ci ; surtout il projetait le personnage ridicule sur le devant de la scène. » (Molière, Georges Forestier, biographies, NRF Gallimard)

Les récits que le jeune homme fait de ses entreprises de séduction font avancer l’action, chaque nouvelle confidence rendant plus éclatante l’inutilité des précautions du tuteur bafoué et provoquant chez lui des réactions comiques de désespoir, « rendues plus désopilantes encore par l’extraordinaire jeu grimacier de Molière ».

De son côté, Claude Duparfait assure le rôle, visage et corps tendus à l’extrême.

Molière choisit de tout mettre au service de cette nouvelle forme de comique : le comique des réactions de la victime d’un malheur que lui-même a causé par son aveuglement, sa suffisance et une intelligence erronée du monde et de la société.

L’Ecole des femmes représente bien une « école » : « école du tuteur à qui les récits font faire l’expérience de son impuissance et de la souffrance amoureuse, ce qui l’enfonce dans le ridicule, mais aussi école de la jeune fille que les récits montrent passant d’une sottise dépourvue de sentiment à l’intelligence amoureuse. »

Les dés sont jetés, et Stéphane Braunschweig, le metteur en scène directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe s’en est donné à cœur joie, faisant appel à l’un de ses acteurs favoris, excellent Claude Duparfait qui n’a pas son pareil pour jouer les « désaxés » aux côtés de l’évanescente et juvénile Marion Aubert en jolie baby-doll.

Une salle de sports – vélos d’intérieur – et ses vestiaires où l’on discute, une serviette autour du cou, avant de se changer -, la scénographie offre au regard l’ample surface d’un gymnase dont le sol pourrait être revêtu de caoutchouc et que des panneaux transparents de métal, descendus des cintres, scindent en trois espaces.

Jeu de caché et de montré, rideau qu’on tire tel un voile aux connotations négatives.

A l’avant-scène, Arnolphe et Chrysalide – honnête homme interprété par Assane Timbo qui enjoint le premier à plus de sagesse dans son jugement sur les femmes.

Ensuite, l’antichambre intermédiaire des appartements, lieu stratégique d’où le geôlier peut surveiller le troisième espace, la chambre de sa Lolita  – un objet de désir -, rivée sur son lit, entre découpages enfantins et geste assassin porté sur le chat.

Cabine peep-show équipée de vitres sans tain permettant de regarder sans être vu.

Le leçon est claire, à l’époque de #MeToo ou de #BalanceTonPorc, tous les Arnolphe du monde n’ont nulle chance de survie ni morale ni sociale, et les dénonciations d’agression sexuelle ou de harcèlement suivent enfin leur cours.

Arnolphe, personnage ridicule hanté par la peur du cocuage, a vécu pour ses petits intérêts, négligeant les lois de la nature pour celles d’une « culture » fabriquée, à sa façon, sur l’éducation des femmes qu’il s’est inventée pour un usage vain.

Agnès est attentive, sans le savoir, à l’éveil du printemps, attirée par Horace, à l’amble des mouvements instinctifs de son corps hanté par la passion amoureuse.

D’ignorante, elle est devenue subtile, éduquée par la puissance des sentiments.

Est-elle en mesure d’analyser les intentions d’Horace ? La boucle n’est pas encore bouclée qui l’enfermera de nouveau, d’un vieux barbon à un jeune séducteur.

Claude Duparfait dans sa déclaration d’amour finale s’expose crûment en victime.

Le spectacle résonne de l’amertume et des lassitudes du temps sur les violences en général dont celles faites aux femmes, il n’en dégage pas moins fraîcheur et vigueur.

Véronique Hotte

Odéon-Théâtre de l’Europe, Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon 75006 Paris, du 9 novembre au 29 décembre 2018 à 20h, dimanche à 15h. Tél : 01 44 85 40 40 La Coursive – Scène nationale La Rochelle, les 8 et 9 janvier 2019. La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale, du 15 au 19 janvier. Bonlieu – Scène nationale de Annecy, les 29 et 30 janvier. Théâtre de Liège, du 5 au 8 février.La Comédie de Saint-Etienne – Centre dramatique national, du 6 au 9 mars. Les Théâtres – Marseille, du 20 au 22 mars. Besançon Franche-Comté, les 28 et 29 mars. Théâtre Dijon-Bourgogne – Centre dramatique national, du 23 au 26 mai.