Perdu connaissance, texte écriture collective par le Théâtre Déplié, mise en scène d’Adrien Béal

Crédit photo : Vincent Arbelet

PERDU CONNAISSANCE 300(c)Vincent Arbelet

Perdu connaissance, texte écriture collective par le Théâtre Déplié, mise en scène d’Adrien Béal

 Après Le Pas de Bême, Récits des événements futurs et Les Batteurs, la compagnie Théâtre Déplié d’Adrien Béal, artiste en résidence au Théâtre de Dijon Bourgogne – CDN, poursuit La recherche d’un théâtre expérimental qui met en jeu cette impression si singulière d’être à la fois spectateur et acteur du monde.

Le spectacle Perdu connaissance est écrit collectivement à partir des improvisations de six acteurs – Pierre Devérines, Boulaïna El Fekkak, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc et Cyril Texier. L’écriture est pensée par agencements ou tuilages – dissociations et décalages -, à l’échelle des répliques et des dix scènes proposées.

Les interprètes sont sur le qui-vive, en alerte, comme rivés sur le bord d’un abîme.

Nulle linéarité narrative, ni reconnaissance d’états psychologiques chez les protagonistes, mais le passage d’un état à l’autre réactivé sans cesse par le jeu des comédiens – de beaux pas et battements dans la circulation des points de vue.

Le spectateur se voit invité à éprouver l’ardente patience d’une enquête à travers l’alternance de scènes et de situations, les chocs et les contre-chocs d’une pensée active. L’émotion qui affleure, le temps de la représentation, résulte de la compréhension de ce qui est donné à voir, dans une « in-tranquillité » productive.

Trous, ellipses, silences et manques – des variables et des inconnues – , les échanges fraient avec la vie et la mort, le couple, l’amour, la solitude, l’enseignement, la prison, la séparation et les nouveaux départs possibles.

Les clés de la loge – métaphore ironique – ouvrent à la vie de l’ici et du monde.

Le lieu scénographique est particulièrement éloquent en ce qu’il n’est apparemment propice à nulle aventure, lieu anonyme et standard, non-lieu par définition, la loge d’un établissement scolaire devant laquelle chacun passe sans jamais s’arrêter.

Lieu de dépôt encore des objets perdus, trouvés ou confisqués – menus objets et accessoires de portes à ouvrir ou à fermer, avec le nécessaire obligé de nettoyage

Signaux sonores autorisant l’ouverture ou la fermeture des portes, sonnerie des récréations, repères auditifs d’une vie segmentée, la loge est à la croisée bruyante des chemins anonymes, face à un hall où passent élèves, parents et enseignants.

Si cet abri, de l’extérieur, est encore un espace de dépôt des objets perdus et confisqués, menus objets et accessoires de portes à déverrouiller, l’intérieur est silence et repli –

la scène choisie pour contempler le spectacle du monde depuis une fenêtre vitrée.

Là font théâtre Adrien Béal et les six acteurs qui foulent l’espace indistinct non listé, bousculant sa supposée neutralité pour surprendre ce que sont les hommes.

Les perspectives peuvent d’autant se déployer que ce bel avant-scène accorde aux personnages qui en font un refuge de survie, de vraies possibilités de mouvements.

Le système de pensée classique et attendu est mis à mal : une vérité est à peine énoncée et enregistrée comme telle, qu’elle est aussitôt remplacée par son antithèse. Ce fonctionnement attise l’attention du spectateur troublé et déstabilisé.

La gardienne que nous ne verrons jamais est dans le coma, suite à un accident cardio-vasculaire. La sœur de celle-ci surgit dans la loge, cherchant des papiers pour l’hôpital, l’occasion de faire connaissance avec la directrice de l’école et de son mari.

Accueil, hospitalité, la directrice invite la jeune femme à dormir dans la loge, d’autant que, séparée de son mari et mère d’un garçon, celle-ci est venue seule, alertée. L’ex-mari de la jeune femme apparaît aussi, inquiet pour sa belle-sœur malade.

Or, se pose à côté de la question de l’état de cette femme hospitalisée – l’éventualité de sa mort -, celle inattendue de la sortie de prison d’une deuxième sœur encore. Où la « loger » ? Chez l’absente, après réflexions, hésitations, discussions et accord.

Et l’ex-détenue dont on ne saura que vaguement les raisons de sa détention – la violence ? -, et qui aurait dû ne pas être condamnée lors de son procès qu’elle a négligé, élit domicile chez l’absente, paradoxalement rayonnante et porteuse de vie.

Un sixième intrus – acteur et spectateur scénique, comme les cinq autres – pénètre dans ce poste de pilotage non reconnu, parent d’un taiseux qui a perdu son couteau.

Tous sont comme poursuivis et traqués par le temps indifférent et cruel qui passe.

Savoir ne pas savoir que penser, douter du confort de ses certitudes, heurter la convention et les attentes pour en échange, rester éveillé et en alerte, afin que s’échangent vues et perspective – soit le temps théâtral d’un dire politique partagé.

Un collectif littéralement animé de belles présences sensibles au souffle inspiré.

Véronique Hotte

Théâtre Dijon Bourgogne Centre Dramatique National, du 10 au 19 octobre. T2G – Théâtre de Gennevilliers, du 8 au 19 novembre 2018, lundi, jeudi, vendredi 20h, samedi 18h, dimanche 16h, relâche les 13 et 14. Tél : 01 41 32 26 10 Les Subsistances àLyon, du 18 au 20 mars 2019. Tél : 04 78 39 10 02 Hexagone, Scène nationale de Meylan, les 26 et 27 mars. Tél : 04 76 90 00 45 TANDEM, Scène nationale Arras Douai, les 3 et 4 avril. www.tandem-arrasdouai.eu  L’Espace des Arts, Scène nationale, Chalon-sur Saône, les 9 et 10 avril. Tél : 03 85 42 52 12

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