Avril, textes de Françoise Morvan et de Boris Pasternak, avec l’écrivain et traducteur André Markowicz, la chanteuse Annie Ebrel et la contrebassiste Hélène Labarrière

Crédit photo : Françoise Morvan

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Lieux mouvants, Village de Saint-Antoine, Le Grand Launay 22480 Lanrivain

Avril, textes de Françoise Morvan et de Boris Pasternak, avec l’écrivain et traducteur André Markowicz, la chanteuse Annie Ebrel et la contrebassiste Hélène Labarrière

L’année dernière, en Centre-Bretagne, sur le plateau des Lieux Mouvants 2017 à Saint-Antoine, à partir des textes de Françoise Morvan et de Boris Pasternak, les interprètes – l’écrivain et le traducteur André Markowicz, la chanteuse Annie Ebrel, la harpiste Anne Auffret et Frédérique Lory au marimba – composaient Enfance.

L’année précédente en 2016, avait été créé encore le spectacle Incandescence, aux Lieux mouvants toujours près de la Chapelle Saint-Antoine à Lanrivain, à partir des textes de Boris Pasternak et de Anna Akhmatova, avec André Markowicz en récitant, Annie Ebrel au chant et Hélène Labarrière à la contrebasse. Soit l’été à Rostrenen au temps de l’Assomption et de son brasier rougeoyant, un beau feu élancé sur la colline, ancré et renaissant toujours dans la mémoire vivante de Françoise Morvan.

Pour évoquer l’hiver, le spectacle Vigile de décembre s’est donné ailleurs, conclusion du cycle des quatre saisons, d’après Sur champ de sable de Françoise Morvan.

Pour Avril donc, rendez-vous avec l’adolescence et le trouble d’un printemps froid. André Markowicz fait allusion à un montage de textes sur sur ce moment incertain entre deux âges et deux corps, ce long et angoissant passage d’une vie à une autre :

« Et, à chaque fois, je dis, en russe et en français, un poème de Boris Pasternak — parce que c’est le poète russe dont elle (Françoise Morvan) est le plus proche, et que tous ces spectacles sont construits sur les échos entre trois langues, — le français, le breton et le russe

Le poème que dit le récitant relève d’un Boris Pasternak jeune, poème écrit en 1914, et publié dans Par-dessus les obstacles. Cette poésie russe entre en correspondance exacte avec l’univers sensible, à la fois économe et intense de Françoise Morvan – poésie populaire, russe, bretonne, contemporaine et universelle.

Même temps, mêmes lieux pour des pays éloignés et des générations tout aussi distantes, Avril rend hommage à Annie Ebrel  dont le nom signifie Avril en breton ; l’interprète de talent incarne la tradition chantée de la Haute-Cornouaille.

Soutenu ainsi par les improvisations contemporaines à la contrebasse d’Hélène Labarrière, par la voix claire et souple – des nuances les plus délicates à des tonalités  décidées qui s’envolent loin – d’Annie Ebrel dans la langue bretonne, soutenu encore par la voix posée du récitant André Markowicz – locuteur russe, français et breton -, Avril repose aussi sur le répertoire traditionnel de la Bretagne.

Les vacances de Pâques, au mois d’avril, quand les instants ensoleillés et pluvieux alternent et se succèdent, quand un jour neuf se lève encore avec ses propres tonalités modulées – visuelles et colorées – , annonçant un ciel qui n’en finit pas de s’éclaircir quand bien même sourd l’assombrissement tenace qui rôde alentour.

Un jour nouveau avec le défilé plus ou moins rapide des nuages dans le ciel – gris, blanc, bleu – qu’un soleil apparaissant comme un sou neuf ouvre à une lumière merveilleuse. Succession de clartés plus ou moins profondes ou aléatoires, la vie sur la terre de Bretagne continue, quotidienne et travailleuse pour les femmes du bourg.

Poussant une brouette propre à recueillir un linge frais, lavé et essoré au mieux, les lavandières aux sabots de bois se rendent au lavoir avec leur caisse – caisson rempli de paille où leurs genoux  reposent dans un confort relatif -, s’apprêtant à tremper mains et bras jusqu’aux coudes pour enfouir le linge dans l’eau bleu noir du lavoir.

Robes et tabliers sombres, les laveuses échangent les nouvelles du jour, s’entretiennent de tel ou tel, divulguent des secrets ou bien médisent de leurs pareilles, jalousant celle-ci et critiquant celle-là dont on n’entend pas la défense.

L’adolescente en éveil et à l’écoute – petite Parisienne originaire de Rostrenen en vacances scolaires – boit les paroles de ces aînées qui posent, elle attend qu’elles content et racontent encore des histoires singulières à faire rêver et à faire peur.

La femme battue est celle qui chante le mieux les chansons d’amour, et la médisante qui ne veut pas qu’on l’associe à une quelconque sorcière, évoque à l’occasion, la femme anguille, sorte de fée silienne qui n’en finit pas d’épouvanter tous les enfants.

Aller au bas du bourg pour rejoindre le rituel du lavoir revient pour la fillette à embrasser le monde et la vie telle qu’elle va, ici en ce terroir comme partout ailleurs, entre bassesse et beauté, condamnation et rédemption, puisque se sentir exister – « être » enfin – était le trésor recherché sans qu’elle ne le sût jamais consciemment.

Initiation à l’âge adulte en se dévêtant des atours de l’enfance, le lavoir est une scène fondatrice de l’observatrice en herbe et de ses points de vue qui s’aiguisent.

Sous le ciel changeant, à la fois assombri et toujours plus lumineux et reviviscent, exactement comme à l’intérieur de la sobre et magnifique chapelle de Saint-Antoine.

Véronique Hotte

Lieux mouvants, Village de Saint-Antoine, Le Grand Launay 22480 Lanrivain, le 12 août à 15h.