Change me d’après Ovide, Isaac de Benserade et la vie de Brandon Teena, mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade

Crédit photo : Benjamin Porée

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Change me d’après Ovide, Isaac de Benserade et la vie de Brandon Teena, mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade

 Au Ier siècle, la légende d’Iphis et Iante des Métamorphoses d’Ovide fait d’Iphis, travestie en garçon pour échapper à la violence paternelle, amoureuse de Iante, une âme bien en peine avant de se marier. Heureusement, au dernier moment, une métamorphose divine inattendue et imprévisible rétablit la norme et le salut.

Le même mythe est plus subversif en 1630 avec le jeune poète précieux Isaac de Benserade car le mariage est consommé avant la métamorphose d’Isis. Mais dans la réalité de 1993, aux Etats-Unis, Brandon Teena, transgenre, est violée et assassinée par ses amis quand ils découvrent sa véritable identité : horreur du fait divers.

Matériaux littéraires et archives de presse sont utilisés avec brio par les metteurs en scène de Change me, Camille Bernon et Simon Bourgade, la première étant comédienne dans le rôle du protagoniste Axel, née fille et devenue au fil de ses jeunes ans un garçon dont l’apparence est bien masculine auprès de ses amis.

La bisexualité est aux dieux et la distinction sexuelle pèse sur la condition humaine. Ainsi, le passage pubertaire de l’enfance à l’adolescence provoque la nostalgie de la plénitude originelle. Que l’être – androgyne, figure bisexuée ou du double – soit femme et/ou soit homme, la souffrance est inhérente à la perte ou à la quête.

La figure de l’androgyne ne se distingue pas de l’hermaphrodite, l’un et l’autre étant homme et femme. Les représentations de l’être bisexué interrogent l’unité originelle, l’expression d’un tout que l’être humain ne préserve qu’entre douleur et scandale.

La mère n’entend guère la souffrance de son enfant qui a grandi, et les amis de celui-ci ne peuvent adhérer qu’à une norme sociale conventionnelle et régressive. Les personnes trans étant particulièrement discriminées, de nombreux pays pénalisent et psychiatrisent celles-ci, posant des obstacles institutionnels à la reconnaissance de l’identité de genre des êtres concernés ou à l’accès aux soins.

Or, aujourd’hui et tout récemment est peu à peu reconnue  et admise la figure du transgenre – une personne dont l’identité sexuelle psychique ne correspond pas au sexe biologique. Et l’identité de genre est indépendante de l’orientation sexuelle, les transidentitaires se révélant hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, asexuels…

Le spectacle Change me fait feu de tout bois : installation, à cour, d’une salle de bain et, à jardin, d’un salon avec canapé défoncé et petite table couverte d’alcools, en prévision de l’anniversaire d’Axel à fêter dès que sa mère aura tourné les talons.

Utilisation de la vidéo pour les dessins qui illustrent la légende d’Ovide, et pour l’interview de chacun des proches d’Axel qui relatent face caméra cette soirée, deux années plus tard. Visage triste filmé en direct, ils racontent à rebours la tragédie.

Une télévision projette dans un bruit continu des dessins animés, des émissions de variétés, des paroles de chansons pour karaoké et des reportages d’archives.

Une voiture garée sur le seuil, habitacle programmé pour l’amour et les violences.

Sur le plateau de théâtre, les scènes entre Axel et sa mère, comme celles entre le garçon et ses amis, sont d’une justesse active et réinventée, s’accomplissant au-delà de la trivialité des situations et par-delà la crudité vulgaire des propos échangés.

Saluons auprès de Camille Bernon, la vive Pauline Bolcatto pour la mère et la sœur d’un ami, Pauline Briand pour la petite amie d’Axel, et les affreux jojos que sont, dans leur rôle, les turbulents et mal élevés Baptiste Chabauty et Mathieu Metral.

Véronique Hotte

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie 75012 Paris, du 23 mai au 10 juin, du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30. Tél : 01 43 28 36 36