Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, adaptation (L’Avant-Scène théâtre 2018) et mise en scène de Igor Mendjisky

Crédit photo : Léna Roche

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Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, adaptation (L’Avant-Scène théâtre 2018) et mise en scène de Igor Mendjisky

 D’étoffe fantastique et satirique, cocasse et grave, Le Maître et Marguerite est le dernier roman de Boulgakov, écrit de 1928 à 1940 et publié près de trente ans plus tard, à titre posthume, en 1966-1967. Tyrannie de la censure et attaques de la critique officielle, la première version de ce « roman sur le diable », détruite en partie par le pouvoir soviétique, se double d’un roman de l’artiste, écrit Laure Troubetzkoy.

La narration propose un regard sur deux plans puis trois plans qui se rejoignent. Le livre culte russe est un coup de maître, prônant le triomphe de l’art sur la tyrannie.

Récits emboîtés dont les lieux et les époques sont divers – Moscou, Yalta dans les années 1920-1930, ou le Mont des Oliviers, il y  a plus de vingt-et-un siècles – et dont les personnages sont des artistes ou évoluent dans le monde du spectacle – dramaturge poète et directeur de théâtre, auteur d’un roman, interprètes – , ou bien ne sont rien moins que des figures mythiques et religieuses – Yeshoua, la silhouette physique du Christ en philosophe errant, et Woland, un spectre bien vivant de Satan, accompagné de sa suite loufoque, un chat qui parle et une sorcière avenante.

Le spécialiste de magie noire de Woland et ses compagnons insolites parodient les agissements du pouvoir soviétique – disparitions inexplicables ; et la symbolique chrétienne pose la question du Bien et du Mal dans un monde où règne la violence.

Le metteur en scène de ce Maître et Marguerite bien chaloupé, Igor Mendjisky, avoue que ce sont ces limites floues entre fiction et réalité, entre classique et moderne qui l’ont incité à adapter ce roman – ruptures, dissonances, onirisme.

L’imaginaire et le rêve l’emportent dans ce spectacle vif et enlevé, facétieux et amusé. Le public est ballotté d’un jardin moscovite à une chambre d’hôpital psychiatrique puisque l’auteur de théâtre et poète est prétendument fou à lier. Le spectateur voit aussi se croiser sur le plateau Yeshoua et le procureur Ponce-Pilate qui, souffrant d’un mal de tête constant, se repentira d’avoir condamné le premier.

L’histoire mythique et l’histoire soviétique s’écrivent sous nos yeux de façon ludique.

Le récit de Woland d’un côté, le rêve du poète fou de l’autre, alterne encore avec le roman du Maître jusqu’à la rencontre inouïe des trois. Les comédiens engagés déploient tout l’arsenal de leurs belles compétences – dynamisme et enthousiasme.

Romain Cottard est un Satan réinventé des plus crédibles et moqueurs, silhouette longiligne et élégante qui impose ses vues du haut de sa stature dominante. Igor Mendjisky en poète fou donne le « la » au brio de cette mise en scène sportive. Adrien Gamba Gontard en Pilate est un être authentiquement troublé, et Esther Van den Driessche est une Marguerite gracieuse adepte de chorégraphie contemporaine.

Marc Arnaud est un maître attachant, et Pauline Murris, Alexandre Soulié et Yuriy Zavalnyouk à la gestuelle bien frappée jouent leur partition d’un doigté intuitif.

Une jolie entrée – lumières, paillettes et chansons – dans un bal de la pleine lune.

Véronique Hotte

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie 75012 Paris, du 10 mai au 10 juin 2018. Tél :01 43 28 36 36