Les Autres, quatre courtes pièces de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Jean-Louis Benoit

Crédit photo : Bohumil Kostohryz

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Les Autres, quatre courtes pièces de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Jean-Louis Benoit

 Dans Les Courtes de Jean-Claude Grumberg (Editions Babel – Actes Sud, 1995), Claude Roy note que « Ce qu’ont de commun les personnages quotidiens de Grumberg et les obscurs maniganceurs du destin, qui, dans la coulisse, perpètrent les guerres et les massacres, les pogroms et les camps, les tyrannies et les humiliations, c’est l’aveuglement. Les hommes ne savent pas ce qu’ils disent…

Bien sûr, pour être capable de rire de la sottise ou de la naïveté des victimes et de la cécité des bourreaux, il faut une certaine distance. » (Préface)

Les Autres que monte Jean-Louis Benoit est un spectacle composé de quatre pièces courtes de Jean-Claude Grumberg : Michu et La Vocation créées en 1967 par Frédérique Ruchaud à L’Epée-de-Bois ; Les Vacances et La Rixe sont créées en 1968 à Amiens par Jean-Pierre Miquel, et La Rixe encore est présentée en 1971 à la Comédie-Française par Jean-Paul Roussillon, et reprise en 1982 au Petit-Odéon.

Xénophobie, racisme, antisémitisme, homophobie, anticommunisme primaire comme haine viscérale des forces de police, les pièces satiriques ont été écrites dans les années 1960 par un jeune homme attentif à l’Histoire qui pensait que les caricatures grotesques et dangereuses des travers populaires s’amoindriraient avec le temps.

Nulle progression méliorative et politisée des consciences, mais l’observation amère pour le spectateur, de points de vue réactionnaires d’une extrême droite populiste.

Domine, dans ces quatre courtes pièces, la sacro-sainte famille, avec l’autorité abusive paternelle, la soumission maternelle et des enfants à peine existants.

Le père s’interroge dans Michu de ce que l’autre – chef ou collègue – pense de lui : est-il pédéraste, communiste, juif ? En rêve, la nuit, son collègue Michu l’accuse, et l’épouse rassure le dormeur au matin, l’invitant toutefois à « remonter la pente ».

Pour Les Vacances, le père grand seigneur fait voyager sa famille en terre étrangère. Pourtant, il n’est guère facile de s’ouvrir à la langue des autres, à leur cuisine, à leur culture et à leurs coutumes. Mieux vaut rester chez soi et ne pas essuyer de bévues.

Les quiproquos entre le serviteur autochtone et les touristes errants sont savoureux.

Quant à La Rixe, la pièce facétieuse est mi-figue mi-raisin puisque le père – effroi face aux autres ou effroi de soi -, pour une histoire de voiture et de priorité, s’en est pris à un conducteur maghrébin qu’il ne cesse d’accuser de tous les maux. Carabine à l’appui, logorrhée d’injures et d’insultes, et repli familial dans l’appartement cerné.

Le père pense évaluer le danger et commente la situation, un juge inapte et inepte.

Le père encore, dans La Vocation, se propose de soutenir son fils dans la carrière qu’il engagera mais ne souhaite pas qu’il choisisse un métier dans la police, ce que le fils désire cependant. Face au veto paternel, le fils décide de quitter le foyer.

Mésentente, méprise et maladresse, les êtres ne s’entendent ni ne s’écoutent guère. Subissant une existence difficile ou maussade, pleins de haine pour eux-mêmes, ils désignent les autres comme coupables, jugés responsables de leurs propres maux.

Réceptifs aux miroirs aux alouettes et à la voix des populistes qui stigmatisent si aisément les minorités, les personnages des Autres, figures à la fois comiques, burlesques et alarmantes et sinistres, inquiètent vivement la pensée raisonnante.

La mise en scène de Jean-Louis Benoit, dans la scénographie inventive de Jean Haas – panneaux mouvants, lit de chambre, table de restaurant et portes qui claquent-, provoque un rire amer compulsif, tant la vision du tableau est juste.

Philippe Duquesne pour le père rafle la mise scénique en affreux bonhomme qu’il est : raciste, violent et incapable d’ouverture à toute autre perspective que la sienne. L’acteur prend un malin plaisir à noircir encore la laideur pitoyable d’un anti-héros.

La comédienne Nicole Max – l’épouse – ne s’en laisse pas compter et résiste aux attaques. Quant aux deux fils, Pierre Cuq et Stéphane Robles, ils n’en mènent pas large, comme attendu, observateurs muets le plus souvent et craintifs face au père.

Antony Cochin, le restaurateur autochtone d’un pays étranger, n’en fait qu’à sa tête.

De l’humour noir à l’ironie étincelante dans la résonance de nos temps présents.

Véronique Hotte

Théâtre de l’Epée de bois – Cartoucherie – 75012, du 23 novembre au 23 décembre. Tél : 01 48 08 39 74