Avidya – L’Auberge de l’obscurité, texte et mise en scène de Kurô Tanino

Crédit photo : Shinsuke Sugino

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Avidya – L’Auberge de l’obscurité, texte et mise en scène de Kurô Tanino

 « Mumyô » – Avidya en sanscrit est le titre du spectacle du metteur en scène japonais Kurô Tanino, le nom éponyme de l’établissement de bains traditionnels –L’Auberge de l’obscurité -, la signification symbolique encore du premier des douze maillons du bouddhisme, à savoir l’idée d’ignorance, d’illusion ou d’aveuglement.

Au milieu de la Nature – un cadre imaginé pour paysage grandiose avec montagnes japonaises et traces de neige au sommet – et dans la proximité paradoxale de sources thermales chaudes, se tient une auberge dédiée aux bains traditionnels, un établissement thermal historique, familier à la région de génération en génération.

La voix narrative – instance féminine amusée -, apprend au spectateur que ce lieu populaire mythique est menacé, sinon de destruction, du moins de la perte irréversible de sa capacité de tranquillité pour un repos réparateur : il faut que puisse passer le Shinkansen, le train à grande vitesse, territoire dévasté et pollution sonore.

On reconnaît thème de La Cerisaie de Tchékhov qui fait le deuil de son passé.

Mais l’auteur et concepteur scénique Kurô Tanino ne s’en tient pas aux souvenirs préservés d’une époque passée d’enfance irrattrapable, il met en scène le petit peuple humble et vivant des campagnes, silhouettes rustiques si éloignées de la ville – temps et espace de la modernité – et de ses propositions désordonnées de plaisirs.

Les âmes errantes trouvent refuge là où elles le peuvent, dans les chambres vides ; telles des personnes fragilisées par l’existence, aveugles ou malades, âgées et isolées, ou des geishas en liberté qui trouvent un répit bienfaisant dans l’auberge pour répéter et jouer leur partition musicale au violon traditionnel chinois – erhu -, nécessaire au bon déroulement des banquets qui ont lieu dans les campagnes.

Le théâtre dans le théâtre impose son mystère avec tact et minutie puisque deux marionnettistes – un fils adulte et un père âgé et lilliputien -, deux artistes aguerris, surviennent dans la maison de thermes endormie et comme déjà disparue.

Ils donnent la preuve matérielle – lettre en main – que le propriétaire les a enjoints à donner une représentation dans l’auberge, mais le responsable prétendu est absent.

Tels deux génies merveilleux ou infernaux, à la manière de Théorème de Pasolini, ils adviennent dans les lieux en posant simplement leur présence, sans rien demander ni réclamer, bousculant la paix installée dans les lieux – règles, principes, habitudes.

Ils sont pour le premier public de spectateurs que sont les locataires de l’auberge, l’occasion de découvrir leurs propres rêves intimes et leurs désirs cachés.

Le public au second degré qui découvre le spectacle dans le cadre du Festival d’Automne à la Maison de la Culture du Japon à Paris en a plein les yeux de ce manège sensuel qui s’établit instinctivement et malgré eux entre les êtres étonnés.

Non seulement, le dispositif scénique fait tourner quatre plateaux – pièces diverses de l’auberge : entrée, chambre, et thermes, sans oublier l’étage dévolu aux femmes – mais il expose précautionneusement la dimension érotique des bains publics.

Le sansuke, figure virile japonaise sortie de l’époque Edo, de 1603 à 1868, dont le métier est d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement de sources thermales, lave le corps des clients et les coiffe à l’occasion, muet mais gestuellement explicite.

Les thermes sont pleins de vapeur, signes brumeux de la présence de sources chaudes, et les locataires de l’auberge, dévêtus entièrement prennent leur bain avec pudeur, sous les yeux du spectateurs, entre ombres et lumières jetées sur les parois.

Si les hommes sont nus physiquement, ils résistent encore à révéler leur intériorité authentique, accordant au silence une dimension d’élégance et de salut.

Or, volent à leur secours les pouvoirs évocateurs d’une marionnette comique et farcesque – l’effigie du manipulateur -, père sarcastique, caustique et plein d’humour.

L’aventure théâtrale est savoureuse, proche du frottement intime du sentiment existentiel et de la tension d’une réalité quotidienne brute, tandis que chacun se résigne – la servitude de l’Avidya – à affronter une vie à la fois fruste et enjouée.

Véronique Hotte

Maison de la Culture du Japon – Festival d’Automne, spectacle en japonais sur-titré en français, du 14 au 17 septembre. Tél : 01 44 37 95 01/01 53 45 17 17