Le Garçon du dernier rang, texte de Juan Mayorga, traduction Dominique Poulange et Jorge Lavelli (Éditions Les Solitaires Intempestifs), mise en scène et scénographie Paul Desveaux

Crédit Photo : Isabelle Daccord

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Le Garçon du dernier rang, texte de Juan Mayorga, traduction Dominique Poulange et Jorge Lavelli (Éditions Les Solitaires Intempestifs), mise en scène et scénographie Paul Desveaux 

‘’ Il s’assied au dernier rang (…). C’est la meilleure place. Personne ne te voit, mais toi, tu vois tout le monde.’’ Un don aigu d’observation associé à une belle capacité d’invention, tel est l’atout de l’élève solitaire du dernier rang de la classe de français, jeune pousse autonome et vivante, un rien anarchiste, créatrice de sa propre vie – quête de maturité et désir de reconnaissance. La volonté libre du protagoniste du titre éponyme de la pièce de Juan Mayorga – Le Garçon du dernier rang – produit comme par enchantement un pouvoir d’éveil, un attrait et une impression d’étrangeté chez le prof de lettres.

Celui-ci, André, interprété avec une vérité inquiète par Nicolas Rossier, se fait non seulement le narrateur de l’aventure existentielle de Tom, l’apprenti écrivain incarné par la tranquillité brute et la désinvolture de Martin Karmann, mais aussi le conteur de la sienne propre contaminée par le jeune intrus. Enfin, l’enseignant, époux de Jeanne (Geneviève Pasquier), galeriste d’art contemporain qui s’intéresse par ailleurs aux travaux littéraires des élèves d’André, s’improvise le coryphée patient d’une aventure théâtrale inédite.

La dramaturgie de la pièce porte sur les différents espaces où peut se poser l’esprit – toute conscience personnelle -, suivant les mouvements et les déplacements de l’errance de la pensée, de la propension naturelle et salutaire au rêve et à l’imaginaire : un monologue de soi à soi qui est dialogue avec l’autre et l’universel.

Le prétexte initial à la rêverie de Tom et à l’écriture autobiographique de son apprentissage du monde est la curiosité provoquée par la demeure luxueuse d’un camarade de classe, Rapha (Raphaël Vachoux) : « Elle est plus grande que ce que je supposais ; ma maison y entre au moins quatre fois. Tout est propret et bien rangé. (…) Juste au moment où j’allais retourner vers Rapha, une odeur retint mon attention : l’odeur si singulière des femmes de la classe moyenne. (…)Là, assise sur le sofa, feuilletant une revue de décoration, je découvris la maîtresse de maison. Je la fixai jusqu’à ce qu’elle lève les yeux dont la couleur s’accorde avec celle du sofa. ‘’ Le camarade a donc un père, nommé Rapha encore (Frédéric Landenberg), brut de décoffrage, fou de basket et de commerce avec la Chine, et une jolie mère, Esther (Alexandra Tiedemann), aussi séduisante que mélancolique, versée dans la déco. La critique de la bonne bourgeoisie moyenne – découverte comique – se fait frontale.

Au fil des « expressions écrites » scolaires que rédige l’élève, passionné par l’art de vivre des autres et voyeur décomplexé pour l’occasion, entraînant à sa suite dans cette posture illicite et impudique le professeur lecteur, son épouse et les spectateurs, se compose une oeuvre littéraire qui met à mal les certitudes du maître doublé par le disciple. Or, le professeur et son épouse ne sont pas seulement lecteurs ou amateurs d’art, ils sont également spectateurs de l’action, placés sur le devant de la scène tandis qu’à l’arrière dans le lointain proche, une maison aux murs transparents avec ses différentes pièces laisse apparaître aux yeux de tous une vie familiale scrutée.

La scénographie élaborée du metteur en scène Paul Desveaux crée une mise en abyme des perspectives et des points de vue, le sujet même de la comédie. Depuis le regard du professeur en passant à celui de l’élève puis à celui du public, la balle non plus de basket, mais celle d’une vision cinématographique ou bien onirique circule d’un bord à l’autre du cadre du champ d’observation, lancée d’une oblique à l’autre, avec les métaphores filées de l’image dans l’image – mémoire et culture – tableaux de Pollock, écrans de télé et films cultes, et enfin écrans de cinéma placés au-dessus de la maison, donnant à voir Tom en skateboard.

Une proposition scénique singulièrement osée dans l’évocation des cascades et vertiges du métier de vivre. Une mise à l’épreuve vivante et sensuelle des degrés divers de l’existence pour des jeunes gens en passe de devenir de vrais adultes à la maturité accomplie, surfant avec aisance de la soit disant réalité à la fiction, de la volonté d’action sur le monde à la création artistique – politique et poésie -, de la trivialité au rêve insaisissable.

Véronique Hotte

Scène Nationale de Dieppe – dans le cadre de Terres de Paroles -, le 30 mars.

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