Tartuffe ou l’Imposteur de Molière, mise en scène de Benoît Lambert

Crédit photo : V. Arbelethd
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Tartuffe ou l’Imposteur de Molière, mis en scène par Benoît Lambert

« Le jour où on rejouera Tartuffe, il faudra trouver un garçon charmant, inquiétant et très intelligent », écrit Louis Jouvet dans Molière et la Comédie classique.
Dans la mise en scène énergique de Benoît Lambert, directeur du Théâtre Dijon Bourgogne – CDN -, le personnage éponyme de la pièce de Molière est interprété par l’acteur Emmanuel Vérité, une figure plaisante d’homme jeune de son temps.
Or, ce séducteur n’est qu’un « gueux », puisqu’ainsi le nomme la suivante Dorine, un coureur de dot jouant habilement des occasions offertes, comme la crédulité et la dévotion aveugle du grand bourgeois Orgon dont Tartuffe a fait siens et la table et le logis, avant non seulement de soumettre la fille de son hôte en projetant de l’épouser, mais en captant au passage l’héritage du fils et en séduisant – cerise sur le gâteau – la jolie épouse Elmire. L’imposteur est sur le point de réussir l’accomplissement de ses méfaits, quand surgit inopinément l’intervention providentielle de la Police, sous la forme d’un envoyé du Roi. S’agit-il de souhaiter la défaite de Tartuffe, au nom d’une laïcité à sauvegarder contre le fanatisme et l’intégrisme religieux, selon une lecture traditionnelle de la pièce ?
Le projet politique modéré de Molière consisterait plutôt à remettre les gueux à leur place : « Qu’ils apprennent à respecter la Famille, la Police et le Roi. Et qu’ils apprennent qu’on n’attaque pas impunément les biens des honnêtes gens. Bref, ce qui est sauvé par l’arrestation de Tartuffe, ce n’est pas tellement la liberté de conscience : c’est plutôt la propriété privée. »
À travers la vision médiatrice du sage Cléante, beau-frère d’Orgon, Molière défend en effet l’honnêteté mondaine et s’assure les faveurs de son public acquis – la Cour et la bonne société parisienne – en protégeant la vraie dévotion.
La pièce plutôt consensuelle ne dévoile rien de profondément subversif. Toutefois, le comique naît de la folie d’Orgon que stigmatise Cléante encore : « Parbleu, vous êtes fou, mon frère, que je crois », une déraison qui menace l’ordre social, économique et familial, sans soulever les vraies questions de classes et de générations.
La scénographie d’Antoine Franchet joue son va-tout dans la vision personnelle du concepteur. La maison d’Orgon semble en effet bien trop riche pour être honnête.
D’immenses panneaux élevés, rectangulaires et noirs, habilement distribués, figurent un faste de lambris et de plafonds ouvragés d’époque, qui montent haut, une boîte noire de panneaux transparents qui font apparaître des silhouettes fugaces et évanescentes, les cachettes préparées, les portes fermées derrière lesquelles les fourbes écoutent les conversations privées, tapis et silencieux dans l’ombre.
À l’intérieur du cadre, une longue table festive et ses chaises, couverte d’une nappe blanche éblouissante et de belle argenterie, composent le mobilier luxueux. L’ordre apparent de la demeure est vite démenti quand la meute familiale surgit céans face au public, assise autour de la table devant un dîner de gourmets.
Nul ne garde sa langue dans sa poche, si ce n’est la jeune fille réservée Mariane, la fille d’Orgon (Aurélie Reinhorn) ; mais Cléante même (Étienne Grebot), et Elmire, l’épouse d’Orgon (Anne Cuisenier) et surtout Damis, le fils d’Orgon (Paul Schirck), et Madame Pernelle, la mère du bourgeois (Stéphan Castang) – seule contre tous – n’y vont pas de main morte. Ces figures remuantes et bruyantes glapissent, vocifèrent et invectivent le grand absent, l’ennemi Tartuffe, qui ne surgit sur le plateau qu’au troisième acte.
La palme – dans ce style extraverti et spectaculaire qui provoque le rire – revient à l’inénarrable Martine Schambacher qui interprète avec gourmandise Dorine, la suivante de Mariane, soubrette populaire et avertie s’il en est, qui glisse adroitement sur le parquet, secoue les timides et verse des petits verres à ceux qu’elle tient encore sous sa coupe, Madame Pernelle et son cher Orgon.
C’est elle qui fait la loi face à l’incroyable aveuglement de son maître Orgon (Marc Berman) qui semble encore tenu malgré lui dans les serres vives de Dorine, un acteur baroque dont le jeu loufoque et intempestif répond exactement à celui de la soubrette libre.
Le système des pouvoirs fait en sorte que tout valet est maître d’un plus petit que soi, et Flipote, la servante de la maisonnée, agit comme le souffre-douleur de chacun.
Étrangement, c’est Tartuffe (Emmanuel vérité) qui paraît le plus posé et tranquille. L’apparition de l’Exempt, représentant du roi, un portrait de courtisan en pied monté sur la table et dont le chant baroque subjugue l’assemblée familiale agenouillée à ses pieds, est particulièrement réussie dans l’éloge à la gloire du Souverain.
D’autant que c’est la misérable servante Flipote (Camille Roy) qui tient désormais le majestueux rôle royal.
Un beau retournement de situation après les rires et les amusements provoqués par les situations, le comique de mots et de gestes, un souffle de théâtre qui attise l’attention.

Véronique Hotte

L’Embarcadère – pour La Commune – CDN – Aubervilliers, du 10 au 29 mars. Tél : 01 48 33 16 16

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