The Haunting Melody (La Mélodie Fantôme), conception et mise en scène Mathieu Bauer

Crédit photo : Elie Triffault
THE HAUTING MELODY 2
The Haunting Melody (La Mélodie Fantôme), mise en scène et conception Mathieu Bauer

La représentation de The Haunting Melody (La Mélodie Fantôme), selon son concepteur Mathieu Bauer, met en scène non pas un film à voir mais une bande-son à entendre – dont nous n’aurons à goûter que quelques bribes – à travers la réalisation live par une équipe chahuteuse de la partition sonore d’un film d’horreur. Au rendez-vous, doublage des voix, bruitages, musique originale et facéties.
La musique fait vivre les images, elle est l’artifice qui rend l’univers du film plus intense et plus vrai que la réalité, entraînant le spectateur à participer et à s’engager.
Éléments vivants, mobiles et fluctuants, les sons contractent ou dilatent la perception du temps, comparable au rôle de la ponctuation dans un texte.
Et si le public voyeur et auditeur n’« entrevoit » que quelques passages sonores du film, il ne voit rien des images de cinéma. On lui offre bien davantage, en lui proposant d’inventer ses propres visions. Le spectateur dispose du confort de présences scéniques aléatoires, des figures exigeantes et pleines de distinction.
De leur côté, les interprètes s’abandonnent à leurs tendances esthétiques.
La matière du spectacle s’appuie sur la musique classique, rock’n’roll, musiques de film, bandes sonores, chansons, celles de la culture populaire des années 70 à nos jours.
De toute évidence, partout où elle se trouve, la musique élimine la solitude angoissante du silence. Et sur la scène, la lumineuse Kate Strong déclame, bouge et passe de l’anglais au français avec une évidence efficace : elle est l’actrice à la recherche d’un air du passé, une mélodie fantôme qui la hante mystérieusement.
Agacée et mécontente des autres comme d’elle-même, elle traque son rythme à elle, la part viscérale et cosmique de son être-là, cette « zone profonde » chère à Cioran.
L’acteur sur le plateau – Matthias Girbig – donne la réplique à sa partenaire, en déroulant grâce à sa capacité à chanter les airs connus, un répertoire de tubes contemporains dont il est passé maître dans l’art de la restitution, retrouvant l’univers sonore d’une vie sensible à toutes les résonnances précieuses et privées qu’on croyait perdues, évanouies et oubliées sous le passage du temps destructeur.
L’oreille du public voyage de Nino Rota à Cage, Michael Sembello, de Johnny Hallyday à Dalida et Kate Bush, faisant halte et repos avec Vivaldi, Mahler et Mozart.
Ils sont sept sur le bateau – sept existences distinctes dans leur relation immédiate et intime au son et à la musique. Le plateau de scène est encombré de lutrins et de fils en tout genre et comporte un studio d’enregistrement à vue, dans lequel on voit travailler les musiciens instrumentistes, dont le compositeur et le réalisateur de cette fameuse bande-son. Le premier – Sylvain Cartigny, auteur de la création musicale de The Haunting Melody, une belle mise en abyme du travail de création – cultive son indépendance face aux velléités musicales figuratives du second – le maître du jeu, Mathieu Bauer, attentif à sa propre lecture des images mais sourd à l’absolu de la musique à inventer. Celui-ci n’hésite pas à transgresser les barrières, sortant du studio pour pénétrer sur le plateau et invectiver les artistes en les insultant.
L’ingénieur du son (Thomas Blanchard), lutin de conte malicieux et proche des interprètes, chemine à plaisir dans ce chaos de sons et de sentiments fragiles.
Il en pincerait bien d’ailleurs pour la jeune et jolie chanteuse (Pauline Sikirdji), figure élégante qui porte haut les vibrations musicales intérieures jusqu’à atteindre une dimension céleste, à l’écoute attentive d’une symphonie de Mahler.
Le spectateur ne perd pas son temps, explorateur imprévu des pouvoirs du son et des mystères de l’écoute sur le chemin de la rencontre intime avec soi et le monde.
On ne peut guère plus regarder sans voir ni écouter sans entendre ; la musique fait entrer en soi et chacun doit mieux « prêter » son attention:
« Pendant que l’autre parle, j’écoute complètement, en état de conscience totale : (…) c’est la pureté de cette écoute qui m’est douloureuse», écrit Roland Barthes dans Fragments d’un discours amoureux.
Un spectacle pleinement live – théâtre et musique – d’une belle et joyeuse efficacité.

Véronique Hotte

Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN. Du 22 janvier au 14 février 2015. Tél : 01 48 70 48 90