Lancelot du Lac de Florence Delay et Jacques Roubaud (Graal Théâtre Éditions Gallimard), mise en scène de Julie Brochen et Christian Schiaretti

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Crédit Photo : Franck Beloncle

Lancelot du Lac de Florence Delay et Jacques Roubaud (Graal Théâtre – Éditions Gallimard), mise en scène de Julie Brochen et Christian Schiaretti

 

Dans une mise en abyme astucieuse qui appartient à la poésie de leur projet singulier, Florence Delay et Jacques Roubaud soulignent la posture amusée de Blaise, le scribe du Graal Théâtre et de Lancelot du Lac en particulier.

Le scribe, un simple moine, interprété avec malice par Fred Cacheux sur la scène du TNS, explique à la fin de Lancelot du Lac, qu’il ne tient pas à suivre bêtement une histoire jusqu’à sa fin mais qu’il cherche à construire avec toutes, une tapisserie où tous les fils se mêleraient savamment pour faire apparaître les motifs et les motivations : « L’histoire de la Table Ronde forme un arbre dont les branches sont les chevaliers et les fleurs les dames et les demoiselles. Suivant les saisons les fleurs viennent contre les branches ou s’en séparent et se renouvellent. Quant aux branches elles viennent et vont de l’arbre à l’arbre et aucune n’existe toute seule séparée du tronc et de la sève. Cet arbre sera toute la forêt de Brocéliande ».

La recherche des deux scribes contemporains aura duré une trentaine d’années jusqu’à la publication de Graal Théâtre en 2005, inspiré de textes médiévaux – français, gallois, anglais, allemands, espagnols, portugais, italiens.

Cette suite dramatique est composée en dix branches ou pièces, initiée par la fondation de deux chevaleries : l’une céleste, par Joseph d’Arimathie, l’autre terrienne, par l’enchanteur Merlin. Elles se rejoignent autour du roi Arthur et de la reine Guenièvre à la Table Ronde. Viennent ensuite les Temps Aventureux dont les héros sont Gauvain, Perceval, Lancelot, Galehaut, les fées Viviane et Morgane…

En cette fin d’année 2014, Lancelot du Lac clôt ainsi le cycle des chevaliers du Graal Théâtre, après Merlin l’enchanteur (2012), Gauvain et le Chevalier Vert (2013) et Perceval le Gallois (2014) – les créations précédentes des troupes du Théâtre National de Strasbourg et du Théâtre National Populaire de Villeurbanne avec les metteurs en scène Julie Brochen d’un côté, et Christian Schiaretti de l’autre.

Hugues de la Salle – qui tient le rôle de Septime de Lorette sur la scène – note que Lancelot (Clément Morinière), fils de roi, a été enlevé très jeune par la fée Viviane (Marine Desgranges) qui l’élève sous le lac dans l’ignorance de ses origines. L’enfant de quinze ans n’a que de vagues idées du monde interdit, réduit à chasser les biches et les renards.

Lancelot garde quelque chose de troublant de son enfance passée dans un univers féminin et magique. Élevé dans le secret, il a l’étrangeté fuyante de celui qui ne sait pas, provoquant chez tous l’éblouissement et la séduction. Il est à la fois, chevalier valeureux et tendre garçon, amoureux de la douce Guenièvre (Jeanne Cohendy) et du viril compagnon Galehaut (Julien Tiphaine).

L’amour passionné partagé avec la reine Guenièvre fait du couple la représentation symbolique de l’amour courtois. Chevalier exemplaire, Lancelot est détourné de Dieu par cette passion terrestre qui fait de lui un rival de son roi Arthur (Xavier Legrand) ; la transgression de l’interdit le conduit à l’échec de la quête et à la fin du royaume.

Ce Lancelot du Lac scénique se lit comme un livre d’images de conte moyenâgeux dont le public de théâtre tournerait lentement les pages aux illustrations peintes à grands traits, à mesure que se succèdent les scènes fondatrices de la légende.

La scénographie et les beaux accessoires de Fanny Gamet et Pieter Smit déploient un monde de conte merveilleux et d’enfance : murailles de château-fort couvertes par les échelles des assaillants, tombes anciennes de cimetière gothique, tentes militaires façon jouets enfantins, appel sonore des cloches rustiques au combat, bouquets de lances d’un détail de fresque de la Renaissance italienne, figures héroïques et poétiques vêtues de blanc dont Lancelot – le Chevalier à l’écu noir aux trois bandes blanches -, soldats de plomb incarnés portant le heaume, l’écu et la lance, dames élégantes à l’allure de fées – chevelures libres et longs atours -, rivière de forêt pour le bain des jeunes gens et des jeunes filles, soit un canal étroit construit dans le parquet de bois du plateau et la Cour du roi Arthur enfin avec un soleil aux rayons immenses qui monte dans le ciel, l’exact reflet de la Roue du Temps en forme de Table Ronde suspendue. Les enluminures chatoyantes des beaux livres de scribes s’animent quand sur la surface d’un visage apparaît Merlin (François Chattot), un masque humain vidéo qui commente et commande le destin.

Tout a commencé pour Lancelot dans un panier de Moïse, sous le lac de la Dame Viviane, là où les murs reflètent à l’infini les scintillements de l’eau et ses reflets changeants. L’aventure théâtrale donne vie à la poésie d’un beau livre d’images.

Véronique Hotte

Théâtre National de Strasbourg, du 14 novembre au 3 décembre

Théâtre National Populaire de Villeurbanne, du 11 au 21 décembre

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