Yvonne, princesse de Bourgogne, texte de Witold Gombrowicz, mise en scène de Jacques Vincey

Crédit photo : Pierre Grosbois

 YVONNE, PRINCESSE DE BOURGOGNE

Yvonne, princesse de Bourgogne, texte de Witold Gombrowicz, traduction de Constantin Jelenski et Geneviève Serreau, mise en scène de Jacques Vincey

 

L’imaginaire du dramaturge polonais Witold Gombrowicz est théâtral comme par nature : l’interaction des êtres entre eux fait l’essence de son drame, ce qui privilégie une vision artistique avant-gardiste autant que chaotique et bousculée.

Blonsky, spécialiste de Gombrowicz, écrit que si les hommes dans cette œuvre ressentent, pensent, font, ils ne le ressentent ou ne le font que par rapport aux autres hommes, grâce à eux et pour eux. Tout être est forcément inclus dans un milieu.

L’homme de théâtre avance que toute activité interhumaine est médiatisée par des « formes », masques et habitudes mentales, à la fois des moyens de communication et de domination. Démonstration est faite dans Yvonne, princesse de Bourgogne (1938), pour ce qui concerne les usages et les stéréotypes sociaux des relations de maître à esclave.

Le dramaturge cosmopolite pousse loin l’investigation de l’inconscient, accordant à ses pièces l’étrangeté de la dimension fantastique et onirique, comique ou d’effroi.

L’art de la parodie est son domaine, et Yvonne contrefait la comédie de salon.

L’histoire tragi-comique d’Yvonne repose sur l’introduction à la cour royale d’une fille sans charme rencontrée à la promenade par le prince Philippe, héritier du trône.

Or, un tel prince héros de conte ne fraye qu’avec la loi du désir, l’attrait et la séduction. Philippe s’élève contre ces poncifs contre-nature et décide d’aimer la laideur en la personne d’Yvonne qu’il prend pour fiancée, aussi empotée et apathique soit-elle : « Je ne m’y soumettrai pas, je l’aimerai ! »

Ce qui se passe alors dans la famille royale pourrait évoquer l’action, trente ans plus tard et à l’envers, du film de Pasolini Théorème (1968), qui met en scène les ravages non pas de la laideur mais de la beauté d’un jeune homme dans une famille très bourgeoise de Milan. Une situation anormale pour des gens normaux.

Le metteur en scène Jacques Vincey évoque une normalité qui dérape progressivement dans la monstruosité à travers le déchaînement des pulsions.

Et la scène s’amuse des possibles farfelus inventés à l’intérieur d’un milieu rigide et plein de préjugés, malgré le panache tendance que la famille royale moderne affiche.

La scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy donne à voir un immense terrain de sports à l’intérieur même de la maisonnée, un rappel lointain et involontaire du décor de Luc Bondy pour Terre étrangère (1984) de Schnitzler avec son court de tennis scénique.

Trente ans plus tard encore avec cette Yvonne par Vincey, c’est à travers le ping-pong, le fitness, la cardio sous contrôle, que le culte du corps atteint aujourd’hui son apogée : l’allure des hommes et femmes est sportive, musclée, tendue et vêtue de blanc car le corps est le maître adulé ici-bas qui fait l’homme asservi à lui-même.

En bordure, une végétation foisonnante et tropicale meuble les jardins attenants, avant que cette sauvagerie naturelle n’investisse les appartements du palais princier.

La nature envahit l’espace, comme les désirs enfouis envahissent le corps et l’esprit.

Plus rien n’est contrôlable : la liberté existentielle du désir fait loi.

Le Prince Philippe (Thomas Gonzalez) joue une folie inquiétante et enjouée, libre et fantasque. Il est accompagné dans ses mauvais agissements par la velléité jouée de Clément Bertonneau. Marie Rémond est une Yvonne aussi timide que possible – l’exclue de rêve -, tandis que les autres jeunes et belle femmes sont pleines d’hypocrisie et de rouerie. Hélène Alexandridis interprète la reine Marguerite de manière appuyée, tel un pantin mécanique de maison de poupée.

Alain Fromage est un roi hystérique, absolument incapable de se maîtriser, à côté de Jacques Verzier, un chambellan aussi classe que superficiel et peu fiable.

Une galerie de caricatures dans un palais bruyant et mouvementé, pris de folie ravageuse, et qui offre au public un joyeux moment absurde de farce triviale.

Véronique Hotte

Théâtre71.com à Malakoff, du 18 au 30 novembre. Tél : 01 55 48 91 00