La Dame de pique de Pouchkine – Folioplus Classiques N°267

La Dame de pique de Pouckine, traduit du russe par André Gide et Jacques Schiffrin, dossier et notes réalisés par Sylvie Howlett, lecture d’image Juliette Bertron

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La Dame de pique (1834) est une nouvelle fantaisiste entre réalisme et fantastique qui s’amuse des clichés romantiques – les amours contrariées – dans le cadre aristocratique de la ville de Saint-Petersbourg gouvernée par l’argent.

L’art de Pouchkine poétise le réalisme et se risque à insérer ici et là de courts dialogues éloquents qui ne nécessitent nul commentaire mais plutôt une bonne dose d’humour et d’ironie, quant à l’appréciation du monde décadent du XIX é siècle.

Le dialogue commence in medias res, sans psychologie esquissée des personnages, ni biographie, ni portrait : seule compte la vivacité des réparties.

La prédiction par les cartes existe en Europe depuis le XVI é siècle, mais restreint son apogée au siècle des Lumières. Comme beaucoup de Russes, Pouchkine apprécie les ouvrages populaires et les jeux de prédiction sans y croire. En exergue : « Dame de pique signifie malveillance secrète » (Le Cartomancien moderne).

Formellement, une histoire de jeu de Pharaon, tel est l’objet de cette Dame de pique.

Au jeu de pharaon, le banquier distribue (c’est la taille) un jeu de cartes ; chaque joueur choisit une carte et mise – ou ponte -, puis le banquier distribue un second jeu : si la carte qu’il pose à sa droite correspond à celle du joueur, le banquier ramasse sa mise ; si c’est celle de gauche, le joueur touche le double de sa mise.

Le jeune militaire Tomski raconte à ses amis, après une nuit passée à jouer, l’histoire de sa grand-mère qu’au XVIII é siècle à Paris, on surnommait la Vénus moscovite, tant sa beauté et ses toilettes, dignes d’une déesse, emportaient tous les cœurs.

En ce temps-là, les dames jouaient au pharaon : « Un soir, à la cour, ma grand-mère, jouant contre de duc d’Orléans, perdit sur parole une somme considérable. »

Le grand-père du jeune homme, refusant d’acquitter l’énormité de la dette, la grand-mère se tourne vers un ami mystérieux que Casanova dit espion dans ses Mémoires : le comte de Saint-Germain qui, disposant de sommes énormes, refuse d’avancer le débit de la dame mais lui propose de regagner l’argent :

« Et il lui révéla un secret que chacun de nous paierait cher… »

Le soir même, la grand-mère de Tomski parut à Versailles au jeu de la reine.

Face au duc d’Orléans qui tenait la banque, elle choisit trois cartes, les joua l’une après l’autre en doublant chaque fois sa mise. La joueuse s’acquitta glorieusement.

Or, cette histoire fantastique trouble au plus haut point Hermann, un compagnon d’armes de Tomski, un Allemand qui ne joue jamais mais observe sans rien dire, économe, prudent et maniaque, un personnage clé de la littérature russe.

Pris en tenaille entre le rêve et une réalité fantasmée, Hermann simule un amour pour l’orpheline de la vieille tutrice qu’est devenue en ce XIX é siècle la Vénus moscovite qu’il voudrait approcher pour récupérer son secret de jeu.

Dans les nouvelles romantiques, l’homme défie le destin avec le jeu, comme Faust dans son pacte avec le diable : un défi de la condition humaine soumise au hasard.

Il s’agit de conférer à l’homme, l’espace d’un instant, une toute-puissance interdite.

La fin du XVIII é siècle attire le fraudeur romantique, siècle de condamnation des fausses croyances, de la superstition et du triomphe de la libre-pensée.

Le fantastique maintient jusqu’au bout du récit cette « hésitation » entre le merveilleux et l’étrange dans l’inquiétude, l’incertitude et le pressentiment du surnaturel.

L’univers du joueur relève du passé, du mystère et du mysticisme, un monde propice aux apparitions étranges, aux fantômes et aux figures d’un imaginaire fantasmé.

Le passé s’impose avec sa règle d’or inexorable, le témoignage du passage du temps qui fait de la plus belle jeune femme, une sorcière à la beauté féérique disparue. Hermann est hypnotisé par la toilette de la vieille dame qu’il surprend sans qu’elle ne le sache, un rituel sur l’observation patiente de la laideur qui s’apparente à un mystère. D’où l’analyse comparative de cette scène avec le tableau de Goya, Les Vieilles (1808-1812).

Sylvie Howlett pour les commentaires et Juliette Bertron pour la lecture d’image font de cet opuscule dont l’âme est la nouvelle de Pouchkine, un bonheur de lecture.

Une promenade romantique sur le chemin cahoteux et chatoyant du jeu des désirs que la vie et le rêve dispensent en désordre quand les deux mondes s’inter-pénètrent.

Véronique Hotte

La Dame de pique de Pouchkine, folioplus classiques, n°267