Finlandia, texte et mise en scène de Pascal Rambert (Domaine étranger 2017-2023, édit. Les Solitaires Intempestifs), avec Victoria Quesnel et Joseph Drouet, Théâtre des Bouffes du Nord.

Crédit photo : Pauline Roussile.

Finlandia, texte et mise en scène de Pascal Rambert (Domaine étranger – 2017-2023 -, édit. Les Solitaires Intempestifs), avec Victoria Quesnel et Joseph Drouet,  et avec Blanche Massetat, Anna Nowicki et Charlie Sfez en alternance. Lumières Yves Godin,  costumes Clémence Delille, collaboration artistique Pauline Roussille.

La dispute – ici, scène de ménage entre époux ou de querelle amoureuse – est un échange violent de paroles entre opposants, une manifestation qui ne fait que mettre de l’huile sur le feu et semer la zizanie, au fil d’arguments, de reproches, d’insultes, d’injures où l’échange conflictuel  devient altercation, bagarre verbale, controverse, démêlé déjanté, déferlement de heurts en série.

«  A quoi sert de se quereller, quand le raccommodement est impossible ? Le plaisir des disputes, c’est de faire la paix. » (A. De Musset, On ne badine pas avec l’amour.) Avec Finlandia, No Peace.

Finlandia est une pièce sur un couple d’artistes interprètes, parents d’une petite fille de neuf ans : Elle, Victoria, travaille et réussit dans le milieu du cinéma; lui, Joseph, poursuit sa carrière dans l’ombre. Il vient lui rendre visite en Finlande, dans sa chambre d’hôtel pendant qu’elle tourne dans une production chinoise, et que leur fillette dort dans une chambre voisine. La conversation n’a pas le temps de s’installer qu’elle dégénère et éclate en dispute brûlante et effervescente qui s’envenime entre les deux locuteurs agressifs, chicaneurs, provocateurs, entre brouille et rupture.

Finlandia raconte la lutte entre un père et une mère pour la garde de leur enfant. « Ce n’est pas Clôture de l’amour, commente l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert. C’est pire. Pire dans ce que les êtres humains peuvent faire. Dans ce que des parents peuvent faire. Il y a eu la passion mais quand la passion se retire ce qui reste entre les êtres au moment des choix devient souvent hideux. Violent. Et fait se répandre la souffrance. Mais aussi le sentiment d’une nouvelle liberté quand on est allé jusqu’au bout de ce qui nous semblait juste. » (6 mai 3023).

La pièce française, créée au Théâtre des Bouffes du Nord ce 1er mars, a été initiée en espagnol par les interprètes ibériques Irène Escolar et Israel Elejalde, connaisseurs de l’oeuvre du dramaturge. La création française, selon la même scénographie et inspiration que l’originelle castillane, accueille Victoria Quesnel et Joseph Drouet, adeptes du théâtre de Julien Gosselin. 

Les partenaires sont enfermés dans une chambre d’hôtel international, anonyme et faussement chic, faite de grandes baies vitrées qu’on devine vertigineuses, ici à Helsinki, où le climat finlandais d’hiver et de neige n’est guère avenant, surtout quand on vient de Madrid. Telle est la distance de près de 40 000 km parcourue en voiture par un père quarantenaire, qui décide d’aller chercher sa fille au beau milieu de la nuit, là où « tourne » sa mère, actrice de production cinématographique. 

Pascal Rambert dit écrire sur des lignes de crête dangereuse où les personnages féminins sortent de l’emprise masculine, quittant la douleur pour l’émancipation grâce à l’élucidation de la langue.

Tu « as été mon premier amour et … j’ai été aveuglée par l’amour vivant que je te portais comme toutes les femmes comme toutes les cruches que nous sommes quand nous sommes amoureuses nous sommes des cruches quand nous aimons nous les femmes on y croit on a les yeux qui tournent dans nos orbites… pendant que notre amie nous tire par le jean par la manche en nous disant mais tu es sûre ?.. » Et plus les amies se liguent contre ce choix, « plus se développe ce que l’on nomme l’amour du monstre pour être jour après jour avalées, détruites, anéanties… »

Victoria Quesnel, déterminée, confiante, plutôt cool, relax et sereine, déjette son texte volubile, à l’aise dans son short de pyjama et son t-shirt quand elle sort de sa couette de lit, un vrai refuge.

La tension s’exaspère entre les ex-époux qui s’affrontent vertement et presque sans répit. Joseph Drouet semble souffrir, sombre de chagrin, ne consentant pas à ce que Victoria lui échappe.

« … Moi je suis le mari le régulier le bedonnant dans la tête le nul le déceptif celui par lequel le réel décevant finit par arriver le réel décevant finit toujours par arriverje suis la figure du réel décevant le jaloux le pas fun le pas drôle l’empêcheur de tourner en rond le gênant je suis celui qui gêne celui qui te gêne je suis la barre dans ta tête au moment de jouir le père la loi l’emmerdeur… »

Joseph reprend les paroles accusatrices de Victoria et les tourne en dérision, elle qui l’accuse de s’en remettre à un monde imaginaire désuet de gauche et de prétendue lutte de classes, ce qui l’entraîne dans des envolées pseudo-révolutionnaires inopportunes, décalées et risibles; il réfute les assignations du regard féministe de Victoria :«  Je ne suis pas ce monstre que tu décris…»

« Dans toute amitié, quelque troublée et incomplète qu’elle ait pu être, il y a des liens plus forts et plus durables que nos luttes d’intérêt matériel et nos colères d’un jour. Nous croyons détester des gens que nous aimons toujours quand même. Des montagnes de disputes nous séparent d’eux : un mot suffit parfois pour nous faire franchir ces montagnes. » (George Sand, Histoire de ma vie.)

Nulle montagne ne paraît être franchie ici, tant la querelle s’est figée entre les belligérants. Victoria Quesnel et Joseph Drouet sont absolument justes quand ils s’éveillent à la souffrance existentielle.

Véronique Hotte

Du 1er au 10 mars 2024, du mardi au samedi à 20h, matinées le dimanche à 16h, au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 (bis) Boulevard de La Chapelle 75010 – Paris. Tél : (0)1 46 07 34 50, location@bouffesdunord.com.