Sauve qui peut (La Révolution) d’après Thierry Froger, adaptation et mise en scène Laëtitia Pitz, théâtre, musique et arts visuels.

Crédit photo : Jean Valès

Sauve qui peut (La Révolution), adaptation et mise en scène Laëtitia Pitz, d’après le roman de Thierry Froger (éditions Actes Sud, 2016), composition musicale, musique et jeu Camille Perrin, montages vidéos Morgane Ahrach, Collaboration artistique, scénographie, vidéos et jeu Anaïs Pélaquier, jeu Didier Menin, création lumières Christian Pinaud, régie lumières et vidéos Florent Fouquet, régie son Michaël Goupilleau, costumes Stéphanie Vaillant.

Le spectacle singulier de l’inventive Laëtitia Pitz se présente comme une oeuvre en quatre mouvements, de l’adaptation vers la scène. Le roman de Thierry Froger inspire cette démarche théâtrale inouïe, une écriture jouant du montage et de l’entremêlement de plusieurs histoires. 

D’une part, Jean-Luc Godard tente d’écrire et de réaliser un film pour l’anniversaire du bicentenaire de la Révolution française, sur une commande de Jack Lang. D’autre part, le même cinéaste mythique est épris d’amour pour Rose, la fille étudiante de son ami Jacques Pierre, historien de la Révolution, installé du côté de Nantes, et écrivant une biographie de Danton. La fiction ne peut pas faire l’impasse sur les acteurs et actrices des films réalisés par JLG; entre autres, Isabelle Huppert; en même temps, le spectacle évoque d’autres réalisateurs : Fellini, Truffaut et Marguerite Duras…

Avec pour réalité scénique, une sorte d’atlas profus composé sur le sujet de la Révolution – historique, philosophique et artistique -, avec des extraits d’archives, d’articles, d’essais, d’émissions radiophoniques de peintures, de documents, d’interviews télévisuelles, de films de Jean-Luc  Godard, grand provocateur devant l’Eternel, goûtant par-dessus tout, l’art du paradoxe et de la controverse. Avec aussi des musiques classiques, contemporaines et actuelles. Le leitmotiv du Mépris (1963) envoûte le public – thème de Camille du compositeur Georges Delerue,

Soit le plaisir d’entendre la voix nonchalante de B. B., et les réparties amusées du grand Piccoli.

Assemblage, montage, citations de sources venues de la Mémoire et de nos Temps actuels soumis aux questionnements sur les bouleversements, les soulèvements, les bifurcations, les évolutions, les rapports fluctuants au monde : des questions du jour sans cesse réactualisées.

Cette création convoque l’écoute du spectateur sur différents dispositifs. – spatialisation sonore, casque audio, acoustique… -, ce qui crée un espace de proximité avec le public. La relation de la salle à la scène est bi-frontale pour les deux premiers mouvements, et frontale ensuite – deux tables de travail, un fauteuil pour le maître à l’écart, deux chaises pour les deux partenaires. Sur chaque côté du mur de lointain, un écran projette des images de films, des citations en direct. De chaque côté des murs latéraux, une table d’études et des faisceaux lumineux de néons urbains.

Entendre évoquer Danton et Robespierre, avant que le spectateur n’assiste  à un extrait de la Mort de Danton de Büchner; il aura entendu également le point de vue d’un historien de la Révolution. Et Godard Imagine la Princesse de Lamballe, l’amie sacrifiée de Marie-Antoinette, pour signifier la Révolution : la proposition de JLG. est jugée irrecevable pour la commémoration du bicentenaire.

On apprendra qu’Isabelle Huppert avait été pressentie pour le rôle par le cinéaste, mais celle-ci déclina la proposition, refusant de ramper nue sur le sol, bégayante et atterrée. On verra Alain Delon jeune se faire guillotiner dans le film de José Giovanni Deux Hommes dans la ville (1973).  On entendra parler d’Antoine Doinel, personnage de fiction de Truffaut via Jean-Pierre Léaud qui aurait pu participer au projet filmique révolutionnaire. On verra tant et tant d’images hétéroclites de la fin du XX è qui n’ont pas anticipé la morosité des deux premières décennies du siècle suivant.

Mais la représentation de Sauve qui peut (La Révolution)ce vaut le détour pour l’échange improvisé- dialogue ou conversation – entre JLG et Marguerite Duras, interprétés respectivement par Didier Menin – plus vrai que l’icône masculine du cinéma d’art français, même façon de parler – bredouillement et discours filé ou filandreux, à teneur existentielle. lunettes de soleil, tenue de tennis, et gros cigare à la bouche, goguenard et plutôt satisfait, critiquant J-P Sartre…

Le même est aussi Robespierre au masque de faucon, quand Danton est le cochon, rôle qui revient à Camille Perrin qui incarne aussi, en face de JLG, la réalisatrice d’India Song (1975).

On retrouve la gouaille, l’évidence bon enfant et le naturel de Marguerite Duras, grâce à l’interprète malicieux, aussi aux manettes musicales, jouant de son bras levé puis rabaissé, tels les signaux intempestifs de couperets de guillotine. Le comédien est encore la jeune amante Rose. Il revêt un gilet sur sa chemise pour jouer Marguerite ou porte une fleur rouge dans les cheveux pour Rose.

Le spectacle pétillant, bourré de références culturelles éloquentes – cinéma, littérature, peinture, Histoire – éveille l’attention, interpelle le spectateur amusé face à ces propositions aussi loufoques et facétieuses qu’emblématiques et opportunes, dans lesquelles chacun se reconnaît un peu au fil d’une traversée contemporaine de nos temps passés dits « modernes » qui mènent on ne sait où.

Véronique Hotte

 Du 3 au 10 février 2024, 18h samedi, 16h dimanche, lundi, jeudi, vendredi 19h, relâches mardi et mercredi, au Théâtre de L’Echangeur à Bagnolet. Tél: 01 43 62 71 20. reservation@lechangeur.org, www.lechangeur.org