Les Guêpes de l’été nous piquent encore en novembre, comédie en un acte de Ivan Viripaev, mise en scène de Yordan Goldwaser. Dans le cadre du Festival BRUIT 2023 – Théâtre et Musique – au Théâtre de l’Aquarium.

Les Guêpes de l’été nous piquent encore en novembre, comédie en un acte de Ivan Viripaev, traduction du russe par Tania Moguilevskaia et Gilles Morel  – Les Solitaires intempestifs -, mise en scène de Yordan Goldwaser. Avec David Houri, Pauline Huruguen, Barthélémy Meridjen et Sébastien Dubourg. Scénographie et costumes Lucie Gautrain, construction Jean-Luc Malavasi, lumière Philippe Darnis et Samaële Steiner, création musicale Gaubert Toussaint,

Ivan Viripaev est dramaturge, comédien, metteur en scène, pédagogue, acteur, scénariste et réalisateur de cinéma. Figure majeure du Nouveau drame russe, il dirige quelques mois l’une des trois scènes les plus innovantes de Moscou, la Praktika, qu’il quitte en 2017 pour créer sa propre structure de production. Depuis 2016, il choisit Varsovie pour mettre en scène ses textes. Il est le dramaturge russe le plus présent sur les scènes francophones. Très engagé politiquement, ill a rompu depuis 2021 toutes les relations avec son pays d’origine et est désormais citoyen polonais.

Illusions, mensonges, faux-semblants et simulacres, Yordan Goldwaser met en scène Les Guêpes de l’été nous piquent encore en novembre, une comédie en un acte qui place trois personnages en pleine controverse hypertendue –  espace nu et proximité extrême avec les spectateurs intrigués.

Trois amis, un autre absent, des vérités approximatives, des considérations en vrac sur la vie, un petit bateau, Dieu impuissant, une pluie maudite et des « guêpes qui piquent encore en novembre ». La formulation facétieuse et énigmatique revient régulièrement lors du spectacle: cela qu’on dit à la volée quand on ne sait quoi répondre et qui clôt les pourparlers d’un raisonnement.

Sara affirme à son ami Robert que son beau-frère Markus est venu lui rendre visite lundi dernier et qu’ils ont passé ensemble toute la journée. Mais leur ami Donald soutient que c’est chez lui que Markus a passé la journée de lundi. Si la thèse du mensonge n’est pas accréditée ni pour l’une ni pour l’autre version, quelle est celle à laquelle Robert doit souscrire, lui qui se sait intuitivement trompé ? Il ne veut d’abord ne pas se rendre à l’évidence de la supercherie – il résistera longtemps.

De fil en aiguille, rien ne se résout, et les choses s’aggraveraient plutôt, selon le jeu inopiné des chaises musicales,  alors même qu’on apprend que Sara a un amant : Markus donc ? Mais non.

L’auteur russe Ivan Viripaev s’amuse des fausses pistes et des chausse-trapes : récits contradictoires, inversion des identités, coups de théâtre. Le faux vaudeville ouvre la porte à un labyrinthe existentiel vertigineux, via une scène théâtrale pure, habilement maîtrisée, à la solitude presque beckettienne au milieu d’une société irréversiblement perdue -ni humanisme ni empathie.

Monde trouble et paranoïaque, dans lequel la notion de vérité ou de raison échappe toujours. Un théâtre à la fois drôle et mystique, quotidien et philosophique, entre comédie et absurde, une représentation dans laquelle la sensibilité – craintes, peurs, incertitudes – est pleinement sollicitée.

L’écriture d’Ivan Viripaev est significative d’un regard aigu sur le monde; dans la note préalable au Théâtre 2000-2012 (Les Solitaires intempestifs), il est écrit : « L’auteur fait dans les textes originaux usage d’une ponctuation flottante, d’une concordance des temps déréglée, d’un recours fréquent à la répétition et à la variation, au pléonasme et à la redondance, à l’allitération et à l’assonance à des fins poétiques et rythmiques propres à son écriture … »

« Quelque chose s’est cassé là-bas à l’intérieur de moi, à cause de la permanence de cette pluie, à cause de toutes ces gouttes qui, comme Donald l’a remarqué à juste titre, claquent et claquent contre ma gouttière. J’ai senti que des milliers de petits débris s’étaient dispersés dans toute mon âme, dans tout mon coeur, comme si je m’étais fissuré moi-même et m’étais tordu tout entier. »

A cause de cette pluie, dit Robert, toute sa vie est allée à vau-l’eau et à tort et à travers. 

Elena parlera de Dieu, Donald, du fait qu’il se sent désespérément isolé dans ce monde, tandis que Robert, pourtant bousculé de son côté, ne cesse d’engager Donald à consulter un psychothérapeute. Entre-temps, des coups de fil sont donnés : au frère de Robert, à la femme de Donald, à la voisine de Donald, des appels destinés à la vérité, contre le mensonge.

Le rapport au public tri-frontal est clair, franc et efficace – présence intense des acteurs auprès des spectateurs qui écoutent leurs histoires, comme s’il s’agissait de celles de leurs amis. L’un se souvient, enfant, du petit bateau construit avec feuilles et branches – un jouet merveilleux qui s’en est allé au fil de l’eau, fuyant celui qui l’a fabriqué, soit le décalage existentiel entre désir et réalité.

David Houri, Pauline Huruguen, Barthélémy Meridjen sont excellents de justesse dans leurs postures étudiées; ils  déploient un naturel qui éblouit le public de fraîcheur dans l’immédiateté des émotions, le respect de l’Autre qu’on écoute, tout en restant soi et en tentant de le « comprendre ». 

Le plaisir d’un « être-ensemble » qui signe le bonheur d’être en vie, en dépit de tout, même des guerres proches, citées ici, qu’on ne perd pas de vue, tout en s’essayant à exister sereinement.

Véronique Hotte

Les 15, 16 et 17 juin 2023 à 21h, dans le cadre de BRUIT 2023, Festival Théâtre et Musique, du 15 juin au 1er juillet, au Théâtre de l’Aquarium, 2 Route du Champ de Manoeuvre, Cartoucherie 75012 Paris. Tél: 01 43 74 99 61 www.theatredelaquarium.net