Des caravelles et des batailles, écriture et mise en scène Elena Doratiotto et Benoit Piret. Au Théâtre de La Bastille.

Crédit photo : Hélène Legrand.

Des caravelles et des batailles, écriture et mise en scène Elena Doratiotto et Benoit Piret.

La Montagne Magique exerce une fascination sur les lecteurs en distillant  l’ambiance particulière d’un sanatorium de Davos où un jeune ingénieur hambourgeois, en visite auprès de son cousin, développe une affection et s’immerge peu à peu dans la vie d’une petite communauté de patients et de soignants. 

Cette communauté vit en ignorant la guerre  qui se prépare et se nourrit aussi de grands débats existentiels, de philosophie politique, esthétique, autant que d’occupations oisives  … Ces principaux protagonistes sont devenus des types littéraires : Hans Castorp, jeune homme à la recherche de lui-même, mais aussi  les pédagogues Lodovino Settembrini, l’homme des lumières, et Léon Naphta, le théoricien radical, Claudia Chauchat, séduisante et mystérieuse  qui deviendra  l’amante de Hans après une soirée mémorable, le Docteur Krokovski, conférencier infatigable…

Indéniablement Elena Doratiotto et Benoit Piret  et tous les comédiens se sont inspirés de ces personnages pour créer leur propre type :

Andréas, Jules Puibaraud, a un peu beaucoup de Hans Castorp mais on retrouve des traces du Docteur Krokovski dans le personnage de Benoit Piret, d’Adriataca Von Mylendonk  dans celui d’Elena Doratiotto, un composite des autres femmes pour Anne-Sophie Sterk  qui reprend le nom de l’une d’entre elles ou des deux théoriciens pour  Salim Djaferi et Gaëtan Lejeune. 

On retrouve des réminiscences de certaines scènes, de certains lieux : l’accueil, les promenades, la poste, l’enveloppement dans les couvertures… 

Cette Montagne magique revisitée est croisée avec une fresque de la bataille de Cajamarca, celle où en 1533  Pizarro  et ses 168 soldats ont massacré dix milles Incas et fait prisonnier l’empereur Atahualpa, un fait paradigmatique de la colonisation la plus cruelle et finalement de l’emprise marchande et technologique de l’anthropocène sur toute la vie  terrestre. 

La fresque, c’est l’irruption du réel dans la vie languide  et cotonneuse de la petite communauté, même si Andréas tentera de la faire disparaître par un acting qui rappelle les mouvements écologiques radicaux. 

Bien que le  jeu des acteurs sciemment cool et soft, comme si la réalité était en suspens dans ce monde, autant fermé sur lui-même qu’idyllique, soit systématique, le spectateur pris à témoin par le regard  se laisse embarquer dans cette nonchalance et cette quiétude savamment distillée.

Les acteurs font face constamment au public comme si celui-ci était la ligne d’horizon et leurs mouvements sont calculés voir esquissés, suspendus  dans un ailleurs. La seule violence, le tabassage d’Andréas, après son acte radical, est suggéré par un œil au beurre noir et finit dans une accolade amicale. Du lard ou du cochon ?

Evidemment comme dans le roman, la fable conduit à la prémonition du désastre, cela aurait pu être la guerre à nos portes comme en 1908, mais c’est plutôt la destruction écologique qui est évoquée par l’intermédiaire du seul élément du décor : un arbre fait de planches assemblées que les protagonistes essaient de maintenir en érection.

Même si on est un peu frustré par un parti pris de jeu qui ne décolle pas vraiment, le spectacle Des caravelles et des batailles se laisse voir comme une promenade tranquille en eau calme avant le désastre, C’est bien senti !

Louis Juzot

Jusqu’au 21 avril  à 20h30, relâche les dimanches et le 6 avril, Théâtre d la Bastille, 76 rue de la Roquette , 75011, Paris ; Tel :0143 57 42 14 ; http://www.theatre-bastille.com