Baùbo, De l’art de n’être pas mort, mise en scène Jeanne Candel, direction musicale Pierre-Antoine Badaroux. Bruit  – Festival théâtre et musique au Théâtre de l’Aquarium, en partenariat avec le Théâtre de la Ville – Paris

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

Baùbo, De l’art de n’être pas mort, mise en scène Jeanne Candel, direction musicale Pierre-Antoine Badaroux, scénographie Lisa Navarro, costumes Pauline Kieffer, création lumière Fabrice Ollivier, collaboration artistique Marion Bois et Jan Peters. De et avec Pierre-Antoine Badaroux, Félicie Bazelaire, Prune Bécheau, Jeanne Candel, Richard Comte, Pauline Huruguen, Pauline Leroy, Hortense Monsaingeon et Thibault Perriard.

Pour sa création Baùbo, De l’art de n’être pas mort, Jeanne Candel s’inspire de la figure de Baùbo, issue de la tradition orphique grecque. La rencontre de la prêtresse avec Démeter met au jour les motifs du désir et de la pulsion de vie : Baùbo, soulevant sa jupe, dévoile son sexe – geste inattendu -, provoquant le rire chez la triste Démeter et la conscience d’être en vie, De l’art de n’être pas mort. Consolation et réparation de toutes les douleurs éprouvées – dépassement ultime.

A partir de ce mythe, de la musique d’Heinrich Schütz et d’autres matériaux, Jeanne Candel et Pierre-Antoine Badaroux composent une « passion d’aujourd’hui » où se lient musique et théâtre.

Le jeu en vaut la chandelle : révéler la vie intérieure du trouble passionnel, mystère d’une énergie – construction et destruction – qui peut emporter l’existence. Une anatomie de la passion – corps et âme -, intermittences du coeur et logique du rêve comme principe de composition du spectacle. 

« Des puissances d’écriture à mettre à l’épreuve du plateau », ce que ne manque pas de faire avec brio la conceptrice malicieuse. Tout commence par le coup de foudre mutuel et réciproque de deux jeunes gens dont nous voyons la jeune femme raconter en une langue étrangère balkanique – à moins que ce ne soit une langue inventée, le bel amour qu’elle déplore avoir perdu aujourd’hui.

Le drame est traduit en français aussitôt par l’interprète qui n’est autre que le directeur musical.

Nous verrons la jeune femme s’effondrer sur son lit dans une chambre alors qu’on lui livre un harpon, pour en finir peut-être, ce qu’elle n’osera faire en définitive, trop faible et indéterminée.

C’est qu’après cette première confession publique en face des spectateurs, la scène s’est ouverte et est apparue une paroi blanche qui avancera sur le devant de scène ou bien s’en éloignera.

Des scènes improbables s’animent face public ; sur un fond de blancheur, surgit depuis les coulisses, un ensemble de pleureuses, vêtues de noir, selon la tradition espagnole, et portant une voilette de dentelle couvrant le visage : musiciens, musiciennes et mezzo- soprano Pauline Leroy.

Figures de deuil et images de déploration et d’expression – chant et musique – de douleur intime.

L’oeuvre vocale de Schütz, compositeur allemand, formé de musique vénitienne, entre polyphonie renaissante et baroque, donne le ton au spectacle – majesté, sensibilité, profondeur-, à travers le violon baroque, le saxophone alto, guitare, batterie, contrebasse et voix mezzo-soprano. Et les musiciens sont aussi acteurs – théâtre, musique, danse, corps en mouvement et décor s’alliant.

Un enchantement facétieux alors que le mal d’aimer plane sur la scène, intensément incessant.

Jeanne Candel, choryphée ou bien personnage de BD, figure comique drôlement attifée, munie d’une poêle, d‘une pelle et d’un oeuf frais, un sac-à-dos empli de terre qu’elle déverse, s’adresse au public en l’interpelant, demandant à une telle de ne pas regarder par pudeur le numéro  qu’elle a préparé et qu’elle ne veut pas rater – cabaret loufoque et grotesque et accent du sud assuré.

En fait, rien n’outrepasse la morale ou la bienséance, certes la comédienne initiale est déshabillée, et les pleureuses attentionnées lavent les parties intimes de la jeune énamourée blessée, avant qu’elles ne la rhabillent avec respect. De son côté, la metteuse en scène soulève sa jupe comme Baùbo, laissant voir sur son sexe une reproduction papier de L’Origine du monde de Courbet.

Rire, comédie, jeu et amusement, on ne s’ennuie pas au son de la musique schützienne : les robes noires sont agrafées sur le panneau blanc porteur d’oeuvres d’art, des livres y sont collés en éventail, du papier blanc est au rendez-vous, couvrant les personnages desquels n’apparaissent plus que la bouche pour chanter, les bras pour tenir un instrument et jouer de la musique – folie.

Le choeur des pleureuses surgit en robes blanches à volants, tels des dessous de robes habillées, l’ensemble chorégraphié est des plus élégants au milieu d’une farce jouée et qui n’en finit pas, une cérémonie funéraire qui serait tombée sur la tête, histoire de souffler un peu, respirer malgré tout.

Un spectacle jubilatoire et malicieux, vif et somptueux, qui entête le public de l’art allègre de jouer.

Véronique Hotte

Du 8 au 19 février 2023, du mardi au samedi 20h30, dimanche 17h, Bruit  – Festival théâtre et musique au Théâtre de l’Aquarium, en partenariat avec le Théâtre de la Ville – Paris. Tél: 01 43 74 99 61 www.theatredelaquarium.net, /Tél : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com Du 24 au 30 mars, Théâtre Garonne – Scène européenne – Toulouse. Tournée 2023-2024, Festival del Due Mondi – Spoleto – Italie,  Théâtre de Bourgogne, Comédie de Colmar.