1, 8 mètre, mise en scène d’Ivan Viripaev au Manège de Reims (Festival FARaway), et du 14 au 18 février au Théâtre des Amandiers de Nanterre. Pour la démocratie et la liberté.

Crédit photo : Maurycy Stankiewicz.

1, 8 mètre, mise en scène Ivan Viripaev. Avec Bartosz Bielenia (Pologne), Ewelina Pankowska (Pologne), six acteurs biélorusses et stars du théâtre biélorusse, Pawel Haradnitski, Valentina Sizonenko, Palina Dabravolskaja, Aleh Harbuz, Paina Chabatarova, Igor Shugaleev, deux acteurs sous pseudonyme, et les traducteurs simultanés Manon Gallet et Alex Ducret. Scénographie Karolina Bramowicz, costumes Maria Duda, musique Jacek Jedrasik, regard chorégraphique Pawel Sakowicz, vidéo, identité graphique Sergey Shabohin, traduction Agnieszka Sowinska et Johanna Bernatowicz. Co-production Nowy Teatr/ Sens interdits.

Ivan Viripaev est un metteur en scène, réalisateur, acteur et dramaturge d’origine russe. Né en 1974, il est un des représentants les plus exceptionnels et percutants de la scène dramaturgique russe. Reconnu par de nombreux festivals de film et de théâtre, il a produit près de 30 spectacles dans 20 pays. Tout a commencé dans sa ville d’origine post-soviétique d’Irkutsk, un lieu originel.

En 1998, Les Rêves a été mis en scène, provoquant un scandale. Politiquement incorrecte, cette pièce sur un jeune toxicomane russe a indigné les autorités : fermeture du théâtre et expulsion de l’artiste de la ville. Suite à ce départ d’Irkutsk pour Moscou, l’aventure artistique de Viripaev prend son expansion, soutenant le théâtre Teatr.doc en se spécialisant dans l’art du documentaire.

Aujourd’hui, Viripaev vit à Varsovie, voyageant en Pologne, pays où nombre de Biélorusses se rendent, vu la terreur et la répression dans le pays; parmi eux, des acteurs et réalisateurs. Les acteurs ne peuvent se passer de la scène : la performancene fait pas seulement allusion aux événements qui ont eu lieu et se déroulent encore en Biélorussie, mais se pose comme un soutien engagé en direction des artistes. Les drames qui se sont déroulés, en Biélorussie et en Russie, et la Guerre à présent en Ukraine, ont uni la population : expression civique et création artistique.

Pour revenir à 1,8 mètre, cette triste réalité concerne le régime autoritaire et dictatorial de Loukachenko réprimant une opposition grandissante – révolution avortée de 2005 et manifestations de 2017. En août 2020, à la victoire écrasante du dictateur aux élections présidentielles – un mensonge -, suivent des affrontements entre manifestants et policiers anti-émeute, grenades assourdissantes, balles en caoutchouc blessant les manifestants, tirs des gaz lacrymogènes.

Des centaines de protestataires sont libérés après avoir été détenus, et torturés -privation d’eau, de nourriture et de sommeil, tortures à l’électricité et brûlures de cigarettes, par dizaines dans des cellules prévues pour 4 ou 6 personnes – arbitraire et violence d’Etat pour la prison dite politique.

1,8 mètres soutient les prisonniers politiques biélorusses et de pays autres qui s’opposent aux régimes totalitaires. Le spectacle se fonde à l’origine sur des discours tenus dans des tribunaux en Biélorussie, Russie et autres pays, par des personnes qui ont été condamnées pour avoir exprimé leurs opinions politiques. Ces textes et ces discours, des lettres également adressées à des proches ou non, sont les dernières paroles que les accusés prononcent avant la condamnation.

Ces témoignages sont des sources d’inspiration, des paroles encourageant à vivre et à rendre le monde meilleur. Des textes tristes qui révèlent de quelle manière indigne le pouvoir traite ceux qui disent la vérité, des discours souvent tenus par de jeunes gens – une génération autre qui veut se libérer de l’asservissement totalitaire où on les enferme pour préserver le confort de la dictature.

La torture physique et morale est constante : pressions, dépersonnalisation et humiliation des accusés, chantage à l’interruption des souffrances, maintiennent une affreuse tradition : éliminer les résistances et la liberté d’expression, obtenir des renseignements, devenir tortionnaire.

1,8 mètre : au sol, un carré de lumière où chaque acteur, chaque actrice, va se succéder pour raconter son histoire de vie broyée et de résistance – dans la dignité, le respect de soi et de l’autre, l’élégance de se tenir debout encore et toujours, correctement vêtu, pour une adresse civique au public: information et dénonciation de l’inouÏ, de l’inacceptable, de la cruauté gratuite, de la bêtise.

Ils sont fils ou fille, mère, ou simplement soi, les âges s’égrainant de 20 à 50 ans, et content leur parcours d’existence, comment ils se sont engagés pacifiquement dans les manifestations. Une mère évoque son fils légèrement handicapé qui a été emprisonné, alors qu’il était à la maison. Il espère sortir bientôt, sa mère consolatrice lui porte des photographies d’un chien qu’elle a acheté.

Une autre évoque un fils aimé qui a perdu la vie dans la violence de la rue, à moins que ce ne soit en prison, et personne ne saura jamais la vérité toujours bannie. Jeunes gens et jeunes filles déclament avec à la fois vigueur et réserve leur désir de liberté.

Une jeune fille est sortie assez vite de son emprisonnement dans une colonie : elle ne cesse de penser aux camarades restées.

Les acteurs sont intensément présents au public auquel ils s’adressent tout en puisant, comme en eux-mêmes, la force d’une éloquence rapportée et transcendée. Entre leurs interventions, sur le grand écran du lointain, des images de manifestations à Minsk.

A l’orée du spectacle, s’élève, de la scène vers la salle, un chant choral somptueux aux sonorités chamaniques des chants traditionnels biélorusses. A la fin, quand les paroles ont été entendues, un chant choral tout aussi beau et plus fort encore, s’impose, serrant le coeur du spectateur – cris de souffrance et cris de vie et de résistance, de joie d’être au monde et d’amour des siens. Des témoignages à la fois poignants, éprouvants, violents, sobres, pudiques, des voix salvatrices et révélatrices d’humanité, ce qui subsiste encore en dernier recours quand tout s’effondre, pour se relever. Pour la démocratie et la liberté.

Véronique Hotte

En biélarusse, russe et polonais, traduction simultanée. Spectacle vu le 7 février 2023 au Manège dans le cadre du Festival FARaway 2023. Puis, du 14 au 18 février 2023, mardi, mercredi 19h30, jeudi, vendredi 20h30, samedi 18h au Théâtre des Amandiers de Nanterre , 7 avenue Pablo Picasso – 92022 – Nanterre Cédex. Tél : 01 46 14 70 00.