Combats, texte de Nicolas Doutey, mise en scène d’Adrien Béal. En avant-première au T2G – CDN de Gennevilliers.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

Combats, texte de Nicolas Doutey, mise en scène d’Adrien Béal, dramaturgie Yann Richard, regard chorégraphique Thierry Thieû Niang, scénographie, costumes Anouk Dell’Aiera. Avec Lou-Adriana Bouziouane, Emile-Samory Fofana, Ada Harb, Cindy Vincent.

Le Théâtre National de Strasbourg, le Théâtre des 13 Vents – Centre Dramatique National de Montpellier – et le T2G Théâtre de Gennevilliers – Centre dramatique national – s’associent pour commander une création itinérante à Adrien Béal. La distribution est composée de comédiens du programme Ier Acte – « afin de promouvoir une plus grande diversité sur les plateaux de théâtre ». Et le spectacle s’installe partout, l’équipe n’excède pas 6 personnes en tournée. Dans cet espace circonscrit, Adrien Béal est entièrement libre, il commande à son tour un texte à Nicolas Doutey.

Celui-ci décrit sa pièce Combats: « Jo n’a pas envie de faire ce qu’elle doit faire, au point que, à un moment, Jo se trouve entièrement bloquée. Son cousin Al qui est là lui suggère pour se tirer de ce mauvais pas de faire quelque chose d’inattendu et par exemple de jouer au premier jeu qui lui passe par la tête ».  Jeu de main, de doigts ou plutôt même de pouce – le pouce seul est mobile.

« Pendant qu’ils éprouvent cette méthode, Al apprend que Nina, une amie de Jo, va passer – il connaît un peu la jeune fille avec laquelle il a du mal à se comporter car elle l’impressionne. Alors que Jo, combattant son blocage grâce au jeu, va peu à peu ré-envisager la possibilité de faire ce qu’elle doit faire. Al va également s’engager, à l’arrivée de Nina, dans un combat, contre le « ton » de leur relation. » La différence doit rester incertaine, d’une certaine façon entre jeu et non-jeu.

Pour le metteur en scène Adrien Béal, l’histoire fait cheminer le spectateur dans les préoccupations de quelques personnes qui sont là devant lui. Leurs discrets empêchements sont des problèmes impérieux à formuler, à élucider et à combattre.Tout se passe là, dans l’instant. Ils sont une, deux, puis trois interprètes sur scène, avant qu’une quatrième inattendue n’intervienne.

A mesure qu’ils dialoguent, les relations des êtres entre eux se modifient dans un espace-temps vibrant de souffle, incluant les acteurs comme les spectateurs. Le jeu instaure une proximité avec l’assemblée théâtrale et le moment de la représentation – organisation d’un pouvoir à distribuer:

Le penseur Pascal perçoit le divertissement par le jeu comme une manière de se consoler de nos misères, moyennant quoi le jeu est lui-même une misère, une façon de « se piper soi-même ».

Le jeu est associé à l’idée de délassement, de divertissement et de plaisir, voire de frivolité, par opposition au travail et au sérieux. On joue à tout âge, quels que soient sa condition, l’époque, la civilisation, le niveau de développement, le type d’organisation, la conception de l’univers.

Le jeu est une fin en soi : on joue pour jouer – une activité superflue et improductive, même quand il y a un enjeu financier – il peut y avoir gain ou perte, mais non production. C’est que le jeu constitue un monde à part, une totalité, une structure autonome, séparée de la vie courante.

Temps et espace déterminés, instruments choisis – doigt, main loufoque, ici – , règles singulières fixant le permis et l’interdit : un système de droit, avec ses lois impérieuses et ses sanctions.

Le jeu mêle la liberté, celle de jouer ou de ne pas jouer, liberté égale pour tous – choix stratégiques, soumission aux règles qui conduiraient à l’élimination de qui « ne joue pas le jeu ».

Les jeunes gens, Lou-Adriana Bouziouane, Emile-Samory Fofana, Ada Harb, Cindy Vincent sont saisissants de vérité et de vie, exactement présents, en face du public, dans l’instant qui a cours.

Une relation de confiance est installée d’emblée – parler vrai et juste, sans fioriture ni invention.

Lou-Adriana Bouziouane qui interprète Jo, donne le tempo, intensément vibrante, absolument libre et elle-même, sans calcul ni préméditation, expliquant à son cousin Al – Emile-Samory Fofana, tendu et à l’écoute de son interlocutrice – sa lassitude à tout éprouver et tout supporter. Ayant maille à partir avec le paiement d’un abonnement, elle ne parvient pas à résoudre le problème.

Ce sont ces deux-là qui jouent au jeu du pouce « à ne pas baisser » : jeu libre et gratuit. Ada Harb – Nina -, quand elle survient dans l’échange, prend en considération sérieuse le jeu, sans pourtant lui accorder l’importance voulue. Ce qui a le don d’agacer Al qui défend le divertissement : « Tous les jeux, même les plus élaborés et même les plus sérieux et même les plus tragiques pourquoi pas ont toujours l’air d’abord et avant tout idiots s’ils sont vus de l’extérieur, quand on n’entre pas dans un jeu il a toujours l’air idiot par exemple moi la belotte je n’y arrive pas… »

La quatrième interprète, membre de l’entreprise avec laquelle Jo doit se débattre, surgit, sereine  : Cindy Vincent est radieuse et agit, souriante, dans le but d’apaiser son interlocutrice et les autres.

Beau théâtre inventif  -, vie intense et furtive qui court entre les jeunes gens dont les spectateurs partagent avec tact les doutes, les inquiétudes jusqu’aux instants de soulagement et de réconfort.

Véronique Hotte

Spectacle en avant-première les 29 et 30 novembre 2022 à 17h au T2G – Théâtre de Gennevilliers, Centre dramatique national. Avril 2023 à Gennevilliers.  De mars à juin 2023 à Montpellier. Juin 2023 à Vitry-sur-Seine.