Catarina et la beauté de tuer des fascistes, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues -traduction Thomas Resendes, Les Solitaires Intempestifs.

Crédit photo : Filipe-Ferreira

Scénographie F. Ribeiro, lumières Nuno Meira, Rui Monteiro, création, design sonore et musique originale, Pedro Costa, chef de choeur, arrangement vocal, Joao Henriques, costumes José Antonio Tenente, souffleuse Cristina Vidal. Spectacle en portugais sur-titré en français.

Avec Antonio Fonseca,  Antonio Afonso Parra, Beatriz Maia, Carolina Passos Sousa, Isabel Abreu, Marco Mendonça, Romeu Costa, Rui M.Silva.

« Je ne propose pas (…) l’encouragement du meurtre, mais le moyen de le punir sans un meurtre nouveau. » (Voltaire, Politique et Législation, Prix de la Justice…, III)`

« Mettre à mort » un être appartient au tableau des catastrophes naturelles comme des actions humaines : guerre, révolte, émeute, rixe, attentat, tuerie, massacre. Ici,  à l’intérieur aussi d’une « justice » que revendique la famille d’origine rurale dans Catarina et la beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodrigues, en guise de condamnation et de répression retournées à l’envoyeur.

Un été du vingt-et-unième siècle, la jeune Catarina, entre soeur, mère, oncles et cousin, va devoir tuer un fasciste – rite de passage impératif dans la famille qui s’est donné pour mission, de génération en génération, d’éradiquer le maximum de représentants du fascisme portugais.

Un jour de fête, de beauté et de mort – oxymores en cascade mêlés au chant et trilles des oiseaux et aux chansons traditionnelles qu’entonne en choeur la communauté. Le rassemblement familial a lieu dans une maison de campagne, au sud du Portugal, tout près de Baleizão, village où a été assassinée l’ancêtre Catarina Eufémia, icône de la résistance à l’Estado Novo, régime corporatiste dictatorial et fasciste au Portugal dès 1933 qui a pris fin, lors de la Révolution des Œillets, en 1974.

La demeure charmante  est pourtant minée – maison de panneaux et de lattes bois où la lumière d’été joue à plein et qui pourront s’ouvrir ou bien se refermer, lors de la représentation – la cour est alors transformée en forum ou tribunal citoyen et révolutionnaire. La maison abrite – paradoxe –  un chêne-liège, emblème de tous les chênes-liège du jardin dont les racines enserrent les cadavres des précédents fascistes mis à mort; et un dernier arbuste vert en pot attend sa proie prochaine.

L’atmosphère est apparemment légère, le repas familial a été préparé avec soin – des pieds de porc aux épices, une recette de la grand-mère qui fait toujours pleurer de regret et de plaisir l’un des oncles de Catarina – une de ces figures familiales porteuses de convictions politiques et morales, rigides, incontournables, irréductibles au moindre raisonnement, et pourtant humaines.

L’ancien se moque gentiment du véganisme de sa nièce, un autre se sait malade gravement.

Tous sont vêtus de longues robes noires féminines – couleurs timides et dentelles -, en hommage à l’ancêtre Catarina, victime et proie ad vitam aeternam d’un fascisme récent et désormais récurrent. Ces robes portées et assumées remettent en même temps « la loi du genre » au vestiaire.

L’intention collective familiale est meurtrière, à savoir sommer l’une des plus jeunes de la lignée de tuer un homme, fasciste, kidnappé à cet effet – député ayant signé maints discours populistes. 

Or Catarina se refuse à tuer, faisant exploser un conflit latent entre les membres de la famille, dont la mère (Isabel Abreu) qui porte sur elle toute la douleur des siens et du monde, ayant cru à des valeurs inextinguibles. Tiago Rodrigues interroge : qu’est-ce que le fascisme aujourd’hui ? Jusqu’à quel point peut-on enfreindre les règles de la démocratie pour mieux en défendre les causes ? La violence serait-elle un outil de défense potentiel de la démocratie ? La pièce révèle le doute sur la violence, la façon de réagir aux extrémismes et à l’intolérance, pour défendre la démocratie. 

Le spectacle expose à la fin – passage provocateur un peu long mais performant scéniquement de la part de l’acteur, le député d’extrême-droite enlevé pour être mis à mort, qui exige réflexion et distance, et à ne pas prendre au premier degré lors du contrat théâtral, ce qu’oublient certains spectateurs, en prenant pour argent comptant une rhétorique fasciste et d’extrême-droite. Certains spectateurs reçoivent ce discours comme une insulte, une injure, qu’ils relancent et re-servent à leur tour à l’acteur et à la scène, comme se devant de s’opposer à l’invective, en toute conscience. 

Une ritournelle identifiable dans l’air fétide du temps – montée des nationalismes, replis sur soi, exclusions sociales, exclusions ethniques, exclusions de genre, homophobie… -, dans les années 2020, observée en Europe et dans le monde, hors démocratie et à l’intérieur même des démocraties qu’on croyait ne pouvoir plus mettre à mal, comme étant irréversiblement acquises.

Le dilemme reste en suspens : faut-il reconduire la vengeance et perpétuer le recours à la violence jusqu’à la fin des temps, ou bien tenter de débattre et d’argumenter pour la reprise d’un dialogue ?

Dans les autoritarismes montants – ne serait-ce que l’actualité immédiate de la Guerre en Ukraine qui rejette encore les dés -, la pièce dystopique qui se déroule en 2028 se frotte au réel. Or, la mort – la disparition irrémédiable d’un individu irremplaçable -, est un argument puissant contre le meurtre, la guerre, la violence, même exercée contre les meurtriers et les violents en représailles.

Un spectacle de notre temps, amusé et grave, entre citations brechtiennes et réalité oppressante.

Véronique Hotte

Du 7 au 30 octobre 2022 au Théâtre des Bouffes du NordThéâtre des Bouffes du Nord, dans le cadre du Festival d’automne à Paris et de la Saison France-Portugal 2022. Les 10 et 11 novembre, Comédie de Caen, CDN de Normandie. Les 16 et 17 novembre Le Trident, Scène nationale de Cherboug-en-Cotentin. Les 22 et 23 novembre Maison de la Culture d’Amiens. Du 1er au 3 décembre Théâtre de Liège. Du7 au 10 décembre, Théâtre de la Cité, CDN Toulouse-Occitanie. Les 21 et 22 décembre Teatre Lliure, B

Laisser un commentaire