Cahier d’un retour au pays natal, un poème d’Aimé Césaire, mise en scène & interprétation de Jacques Martial.

Crédit photo : AKO- Audrey Knafo Ohnona

Cahier d’un retour au pays natal, un poème d’Aimé Césaire, mise en scène & interprétation de Jacques Martial, scénographie de Pierre Attrait, lumières de Jean-Claude Myrtil, peinture de Jérôme Boutterin, accessoires de Martine Feraud

« Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme le pénétrante d’une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences… » (Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, 1983).

Aimé Césaire (1913-2008) est né à la Martinique. Il publie Cahier d’un retour au pays natal (1939), premier poème d’une oeuvre qui fait de lui un grand poète contemporain de langue française.

Cahier d’un retour au pays natal allait devenir un texte fondamental symbolisant la fierté et la dignité retrouvées des peuples noirs mais aussi des peuples opprimés à travers le monde.

Pour le metteur en scène et l’interprète Jacques Martial, le poème d’Aimé Césaire est non seulement marqué du sceau d’une impatience juvénile mais d’une révolte contre les préjugés et la stupidité, contre la violence, que subissent à cette époque non seulement les peuples noirs mais tous les peuples dominés, reniés dans leur humanité, un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un homme-de-Harlem qui ne vote pas et dont il dénonce l’asservissement.

« car il n’est point vrai que l’oeuvre de l’homme est finie que nous n’avons rien à faire au monde que nous parasitons le monde qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde mais l’oeuvre de l’homme vient seulement de commencer et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur… » (ibid.)

Poème fondateur de l’oeuvre d’Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal (1939) est enraciné dans la réalité sociale, historique et géographique des Antilles françaises de l’entre-deux-guerres. A cette époque, la France et plus généralement l’Europe régnaient en maître sur leurs empires coloniaux, l’Afrique et les Antilles : les seuls pays noirs libres étaient alors Haïti et Le Libéria.

« A cette époque, les thèses racistes du diplomate et écrivain français, le comte de Gobineau, sur les l’inégalité des races nourrissaient la philosophie du III è Reich. A cette époque, dans le Mississippi, Bessie Smith mourait d’une hémorragie devant un hôpital réservé aux blancs qui refusaient de la soigner. A cette époque, Joséphine Baker, « Reine de Paris », déposait sa ceinture de bananes. A cette époque, Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Léon Damas inventaient la négritude et rendaient à la femme et à l’homme noirs leur dignité d’êtres humains. 

Quatre-vingt ans plus tard, alors que de nombreux citoyens dans le monde scandent « black lives matter »/« les vies noires comptent » ou « la vie des noirs compte », la situation ne semble pas tant avoir bougé sur le fond. Le poème d’Aimé Césaire s’avère d’autant plus nécessaire pour comprendre et pour effacer l’oubli, reprendre conscience et confiance en l’humain et re-construire un monde plus respectueux de l’autre, qui promet la diversité culturelle et favorise un Vivre ensemble apaisé », écrit le comédien Jacques Martial qui incarne le Cahier avec belle constance.

« et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite. » (Ibid.)

Jacques Martial a la carrure du guerrier assuré marchant contre les pensées les plus rétrogrades et réactionnaires, obtuses, contrites, empêchées et mortifères, en mal de souffle et de vie respirée. L’acteur porte haut et fort le poème éclairé d’Aimé Césaire, surgissant sur le plateau « Au bout du petit matin… », semblant descendre de la plate-forme d’un train dont on entend les soubresauts.

Sur le sol, sacs et détritus de plages abandonnées ou de terrains vagues non policés, et sur le mur de lointain, une vaste fresque colorée qui saisit la vie heurtée des jours sur notre planète immense.

Rouge sang des hommes et des bêtes, bleu du ciel et de la mer, noir et jaune du cri des oiseaux, l’existence reprend espoir, et rien ne pourra jamais faire obstacle au raisonnement sensible.

Un temps inlassable de méditation poétique, à la mesure des belles promesses existentielles. 

Véronique Hotte

Du 5 au 15 mai 2022, du jeudi au samedi à 19h, samedi et dimanche à 14h30 au Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie, 75012 – Paris.