Crédit photo : Jean-Marc Lobbé
Bien Sûr Oui OK, conception et texte de Nicole Genovese, mise en scène de Claude Vanessa. Avec Fabien Bellec. Théâtre dès 11 ans.
L’autrice Nicole Genovese dont le nom italien signifie « de Gênes » , s’amuse à préciser le comédien Flavien Bellec, information qui n’est pas un hasard puisque le protagoniste de la pièce est en train de confectionner à vue une génoise; or, elle écrit : « Je voudrais évacuer d’emblée le rapport moral à l’art qui me dérange, en disant que je n’ai rien à transmettre d’autre aux spectateurs – enfants, adultes ou ados – qu’un vrai instant de libre état d’être au monde. Je pense que notre quotidien souffre d’un « trop de réalité ». Je voudrais transmettre la certitude qu’il existe au monde un refuge : un endroit où l’on peut avoir tort, se tromper, commettre une erreur. »
Cet endroit serait la cuisine, là où la cuisine et l’humour peuvent nous aider à penser le monde.
L’acteur, admirable Flavien Bellec, se lance dans le désordre d’une recette de gâteau – la génoise. Cuisson, 8 minutes. Tout en fouettant le blanc et en blanchissant le sucre, il se met à pétrir les mots avec gourmandise en déployant ses gestes culinaires, à la fois anodins et métaphoriques.
« Séparer les jaunes des blancs » : Pourquoi ? Un peu de chocolat fonce à lui seul une large pâte blanche : Pourquoi ? Les réflexions et questions sont concrètes et culinaires; elles sont aussi naturellement, comme d’un coup de « maryse », considérations sociologiques et philosophiques.
Entre digressions, blagues de potache et réflexions existentielles, le public de collège et d’ailleurs s’immisce dans des questionnements évocateurs, tant drôles que philosophiques – initiation libre au théâtre contemporain, partant du thème de la pâtisserie pour mieux parler de « pâte humaine ».
Certes, la cuisine est au programme, mais aussi la magie, le Moyen Âge, Georges Bataille et l’économie générale, ingrédients auxquels une bonne dose d’humour se rajoute généreusement.
Flavien Bellec, portant peau de bête de b.d., se métamorphose peu à peu en comédien magicien aux couleurs pétillantes de clown, puis en prof de mathématiques convaincu de sa mission, enfin en dame courtoise qui chante sa ballade avec foi, élégance et poésie – un moment de charme.
Cours d’histoire, d’économie politique, de citoyenneté et de civisme: philosophie et existentialisme. Deux jaunes d’oeufs vont rester apparemment sans usage – excédentaires, dirait-on : il va en falloir traiter « la part maudite », titre de l’ouvrage de Georges Bataille d’économie générale. Le cuisinier narrateur poursuit l’envol de sa recette comme celui de sa pensée historico-économique :
« De ce que j’en ai compris, on ne peut pas faire le bien sans faire un peu de mal mais on peut prendre soin du mal qu’on fait.( Il tombe sur ses 2 jaunes d’œufs sacrifiés.) C’est la part maudite de ma recette. Tout ce jaune ça me fait penser au soleil. Le soleil donne sans jamais recevoir. Les Aztèques avaient compris ça et faisaient des cadeaux au soleil.»
Après avoir parlé de « consumation » et de « consommation », le premier terme concernant le Moyen Äge et le second notre époque, le baladin explique à son public, référence faite à Georges Bataille encore, que l’être humain ne peut vivre ni se contenter d’un strict nécessaire : il lui faut au contraire de l’excès et un surplus qui doit être consumé dans l’art, le luxe etc…pour sa survie.
Pour le goûteur des mets de l’existence, le Moyen-Âge est un âge d’or pour la création artistique, politique, philosophique, juridique et économique : ne pas simplifier les époques et les relativiser.
Comparaison avec le chat ronronneur qui, dormant, dispose d’un surplus d’énergie à dépenser :
« Si le chat reste toujours au même endroit, sans bouger, qu’on lui donne à manger juste ce qu’il faut pour rester vivant mais qu’il peut pas dépenser son énergie excédentaire en chassant la mésange, il restera vivant mais il deviendra une chose informe et molle… Bataille relève donc qu’il faut créer dans notre économie des espaces qui permettent à son excédent de se libérer, de partir en fumée, genre dans le luxe, les guerres ou les arts, sinon c’est la cata… ».
Un spectacle ludique et facétieux, infiniment joueur dont la pertinence touche droit sa cible : cette attention des jeunes, étonnés de tant de liberté et de de désinvolture, de justesse et d’intelligence.
Le gâteau est servi, partagé et offert à tous les gourmands apprenants, le sourire aux lèvres.
Véronique Hotte
Spectacle créé dans le cadre d’Odyssées 2022, festival de création pour l’enfance et la jeunesse conçu par le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-CDN, en partenariat avec le Conseil départemental des Yvelines.
Du mercredi 4 au dimanche 8 mai, du mercredi au vendredi à 19h, samedi à 18h,dimancheà 16h au Théâtre 13 / Site Glacière 130 boulevard Auguste Blanqui 75013 – Paris. Tél : 01 45 88 62 22.
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