Biographie : un jeu de Max Frisch, traduction de Bernard Lortholary (éditions de L’Arche), mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia.

Crédit photo : Giovanni Cittadini Cesi

Biographie : un jeu de Max Frisch, traduction de Bernard Lortholary (éditions de L’Arche), mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia. Décors Alban Ho Van, lumières Dominique Bruguières, costumes Marie La Rocca. Avec José Garcia, Isabelle Carré, Jérôme Kircher, Ana Blagojevic, Ferdinand Régent-chappey. Au piano, Simon Froget-Legendre.

La règle du jeu dans la pièce de Max Frisch que met en scène Frédéric Bélier-Garcia tient à ce que le protagoniste Kürmann réécrive sa propre biographie : reprendre et corriger, revenir dans le temps, le suspendre, faire d’autres choix, prendre d’autres voies afin de pouvoir rejouer son existence, les scènes d’une aventure à soi, pour en modifier un geste, un mot, en déjouer le cours, et avant tout, éviter une rencontre, celle d’Antoinette, le miracle et le cauchemar de ses jours.

Rêve ludique ou polar noir, joyeuse machination diabolique, Biographie : un jeu (1968) remet à zéro l’horodateur existentiel, puisque la vie est un jeu personnel et un jeu de société, puzzle incertain – choix, désirs, lâchetés. Frédéric Bélier-Garcia en a signé la mise en scène à ses débuts, une première création prémonitoire – partie d’échecs féroce et drôle à explorer sans cesse.

Aujourd’hui, le concepteur s’empare à nouveau de cette comédie vertigineuse, ce labyrinthe de mises en abyme – cascade de petites catastrophes, selon l’air amer de nos temps présents.

Sans nul sentimentalisme ni romantisme, la pièce est révélatrice – ironie apaisée – des signes mêmes de la « confusion » du couple. La femme est inaccessible, ainsi Antoinette que joue Isabelle Carré, avec à la fois distance acidulée et consentement bienveillant, si ce n’est amusé.

Le personnage féminin de Frisch n’existe pas par lui-même, il est l’objet d’un traitement poétique plus que psychologique : un être perçu, animé, décrit à travers la tyrannie du désir masculin. Frisch n’expose pas une intériorité mais un catalogue des dédales de la mémoire, entre  biographique et fictionnel. Pour Isabelle Barbéris (Max Frisch, éditions Ides et Calendes, collection Le Théâtre de ****, automne 2020), Biographie : un jeu est une impossible auto-fiction

« Manipulant les mises en abyme, les changements de rôle, les anachronismes, les interruptions, cette pièce est d’abord une de démonstration de virtuosité dramaturgique (…) Biographie : un jeu peut se lire comme une parodie de reenactment avant l’heure – genre développé dès les années 90 qui met en avant les capacités de réinvention et de recréation de l’interprète d’une oeuvre.

Car au lieu de créer de la différence et de réécrire l’histoire ratée de son couple, l’entreprise de Kürmann l’enfonce mécaniquement et comiquement dans l’échec de la répétition. »

La pièce serait un psychodrame inventé par le professeur Kürmann, spécialiste des sciences du comportement, aidé d’un Meneur de jeu – le charme efficace et sombre de Jérôme Kircher – et de ses deux Assistants – la facétieuse Ana Blagojevic et le malicieux Simon Froget-Legendre.

Kürmann, incarné par l’air un peu agacé et le-qui-vive de José Garcia, interprète son propre rôle ou bien le laisse au Meneur de jeu, sorte de Manipulateur rigoureux et sympathique, rejouant les moments décisifs de sa relation avec son épouse Antoinettte Stein, dans le but d’intervenir sur le cours des événements, d’empêcher leur mariage et d’éviter une rupture qui reste douloureuse.   

La répétition est sans cesse interrompue par des changements de scène dictés par le maître de maison qui veut tout reprendre et essayer tel ou tel scénario qu’il renouvelle en vain, invariable. Soit le comportement burlesque de qui veut gérer son destin en Malin, revenant sur des idylles passées qui auraient pu tout changer. Le héros s’inscrit au Parti communiste sans conviction, ne parvient toujours pas à se trouver, incapable de se comporter « en fonction du présent. »

« Antoinette résiste à cette « marionnettisation » par une sorte d’inertie exaspérée », écrit Isabelle Barbéris Le maître a sous-estimé la compagne de sept ans, patiente, mais jusqu’à un certain point.

Un spectacle à la mécanique parfaite qui aurait pourtant supporté davantage de déraison badine.

Véronique Hotte

Du 8 mars au 3 avril 2022, à 21h au Théâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin D. Roosevelt 75008 – Paris. Tél : 01 44 95 98 21 theatredurondpoint.fr Du 3 au 7 mai 2022 à Marseille (Bouches-du-Rhône). Du 11 au 14 mai 2022 au Théâtre de Nice (Alpes Maritimes).