Dreamers, texte et mise en scène de Pascal Rambert ( promotion 10 de l’Ecole du TNB).

Crédit Photo : Gwendal Le Flem

Dreamers, texte et mise en scène de Pascal Rambert.

Pascal Rambert a écouté avec attention ce qui hante les nuits des vingt interprètes de la promotion 10, tout juste sortis de l’Ecole du TNB. Les jeunes gens ont livré à l’auteur et metteur en scène les secrets de leur sommeil, matériau articulé ensuite sur un thème biblique – le sacrifice avorté d’Isaac à qui Dieu substitue un bélier, permettant au père, Abraham, de ne pas tuer son fils.

Ce qui questionne le concepteur, c’est l’histoire de ce crime suspendu, de ce meurtre stoppé, boucle récurrente sur laquelle s’enroulent les récits. Soit la bascule du réalisme à sa métaphore, la substitution du sacrifice humain au sacrifice animalier, entre onirisme, réalité et cauchemars.

La scénographie d’Aliénor Durand, éblouissante de clarté lumineuse, est tel un volume ardent, une boîte mystérieuse, un écrin de blancheur avec piano noir, à l’intérieur duquel les lumières d’Yves Godin s’amusent, dessinant des apparitions ici et là, selon l’amplitude des marées humaines scéniques; et l’ombre insolite de l’acteur qui parle se projette sur le mur en une tache de couleur.

Les costumes de Clémence Delille sont particulièrement seyants car tous les interprètes sont vêtus avec bon goût et délicatesse étudiée, ce qui fait que l’ensemble choral chorégraphié est un tableau harmonieux pour la vue – contemplation esthétique de mouvements dansés et respirés.

La chorégraphie de Rachid Ouramdane a donné forme aux rêves du metteur en scène et de ses interprètes, esquissant à l’intérieur de la boîte blanche des lignes aux gestuelles savantes.

Une danse lente et pleine de patience, à la manière scénique de l’art de Claude Régy, tout n’ayant de sens que dans l’apprentissage de la lenteur dans les déplacements – alanguissement feutré et douceur sensuelle : chacun et chacune fait attention à l’autre, l’écoute, le frôle, le protège, même si parfois apparaissent des évocations de jalousie, de rivalité ou de concurrence, de poignard levé.

Cette ronde de figures habillées de noir étincelle comme autant de soleils noirs de la mélancolie, s’apprêtant à faire le deuil de la séparation du groupe, comme les acteurs y sont préparés sur la voie vers la maturité. Ils se rapprochent ou s’éloignent – marée humaine qui frémit, silencieuse.

La musique d’Alexandre Meyer envoûte l’assistance sur scène et dans la salle, des murmures qui s’ élancent puis reculent, sans oublier les choeurs chantés du fameux Alleluia qui envahira longtemps les têtes jeunes et moins jeunes du public, bien après la fin de la représentation.

Désirs et nuit hantée d’une chambre préservée, à tous et pour tous, et qui scelle le groupe en même temps qu’il le fait éclater de trop de proximité, de connivence, d’accointance et de reconnaissance. Les rêves se mêlent à la réalité brute du monde et à la confusion généralisée.

Or, l’humour et la distance affleurent et prennent place, quand l’un des comédiens, adjugé photographe des interprètes, les flashe, un à un, photo aussitôt reproduite à l’écran. La sonorisation du geste sec donne à l’instant sa splendeur d’identification et de reconnaissance.

Le spectacle est un plaisir visuel et sonore – partition jointe du texte de Rambert qui aime tant entendre les voix et les mots d’une jeunesse furtive qui se cherche avant qu’une autre la remplace.

Vrai travail de clôture d’une formation professionnelle de jeunes interprètes qui présage au mieux de l’authenticité de leur formation et de la sincérité d’un engagement sensible et vérifiable sur le plateau. Le public ne boude pas son plaisir à voir les vingt acteurs et actrices se déployer sur la scène et qui semblent lui dire qu’ils sont là, proches et prêts à prendre le flambeau pour exister.

Avec Hinda Abdelaoui, Olga Abolina, Louis Atlan, Laure Blatter, Aymen Bouchou, Clara Bretheau, Valentin Clabault, Maxime Crochard, Amélie Gratias, Romain Gy, Alice Kudlak, Julien Lewkowicz, Arthur Rémy, Raphaëlle Rousseau, Salomé Scotto, Merwane Tajouiti, Maxime Thébault, Lucas Van Poucke, Mathilde Viseux, Lalou Wysocka.

Véronique Hotte

Du 18 au 27 novembre 2021 au Festival TNB, Théâtre National de Bretagne, 1 rue Saint-Hélier 35000 – Rennes.