Je suis encore en vie, un spectacle muet de Jacques Allaire, librement inspiré de la vie de Nadia Anjuman poétesse afghane battue à mort par son mari, et de Syngué Sabour de Atiq Rahimi (Prix Goncourt).

Je suis encore en vie, un spectacle muet de Jacques Allaire. Très librement inspiré de la vie de Nadia Anjuman poétesse afghane battue à mort par son mari et de Syngué Sabour de Atiq Rahimi (prix Goncourt)

Le spectacle de Jacques Allaire, Je suis encore en vie, compose un diptyque sur l’aliénation avec Les Damnés de la terre d’après l’œuvre de Frantz Fanon, création qu’on a pu voir en novembre 2013 au Tarmac.

Aujourd’hui, Je suis encore en vie s’attache particulièrement aux destins et exils des femmes fuyant les oppressions : guerres, régimes politiques, religions ou familles.

À l’origine du spectacle, s’imposent divers écrits féminins sur les maltraitances ou répudiations physiques ou symboliques subies – la Vietnamienne Duong Thu Huong, la Rwandaise Esther Mujawayo, la Bangladaise Talima Nasreen, la Franco-Algérienne Souâd Belhaddad. Mais l’inspiration vient d’abord du roman d’un écrivain franco-afghan, Atiq Rahimi, Singué sabour (Pierre de patience).

Ce Prix Goncourt 2008 est écrit par un homme à la mémoire de Nadia Anjuman, poétesse afghane sauvagement assassinée par son mari.

Or, la mise en scène de Jacques Allaire s’installe sur la scène comme la métaphore théâtrale de la « pierre de patience », la signification en perse de Singué sabour, cette pierre magique que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs et ses misères, tout ce qu’on n’ose pas révéler aux autres.

Comme une éponge, la pierre absorbe les confidences amères jusqu’à ce qu’elle éclate dans la délivrance.

Sur le plateau scénique, une femme d’un pays de religion musulmane – interprétée par la comédienne tunisienne Anissa Daoud, robe longue écarlate et voile noir en attente de prière sur les épaules, veille son mari, joué par Jacques Allaire, étendu sur sa couche et sous assistance respiratoire.

Aux musiques lancinantes et brumeuses un peu systématiques dans leurs montées ou descentes pathétiques, s’ajoutent des pleurs de bébé, des grondements de guerre et des bruits secs de déflagrations qui dessinent un univers sonore de mal-être, une ambiance d’effroi.

La femme est désespérément seule, dans une position de prière, le tasbih égrené à la main, assise près du corps de son homme gisant sur son lit de douleurs. Elle ne semble guère davantage heureuse quand elle se penche sur le berceau de son enfant. Une silhouette de théâtre d’ombres, telle l’héroïne de Persépolis, le film inspiré de la b.d. autobiographique de la Franco-Iranienne Marjane Satrapi.

À quoi pense cette femme si connotée sociologiquement par sa confession ?

Les spectateurs devinent par empathie ses incertitudes et son sentiment d’abandon. Parfois, tombe du ciel, comme par magie, un livre, des confidences littéraires ou de la poésie, qu’elle lit avec un plaisir manifeste, une occasion pour elle d’ouvrir les ailes d’un imaginaire bridé. L’épouse a au préalable recouvert le visage de son mari pour qu’il ne sache rien des transgressions cachées ni des interdits bafoués.

Et  pour illustration d’une citation d’Artaud en exergue du roman Singué sabour : « Du corps par le corps avec le corps depuis le corps et jusqu’au corps », la représentation bascule soudainement de la passivité consentie de la femme à une révolte absolue, activement physique. 

Pour plus d’aisance dans les mouvements, la femme se dévêt et s’approprie le corps inerte de son mari, le déplaçant laborieusement et le poussant de ses jambes et de ses pieds, le renversant sur le sol, l’éloignant ou bien le rapprochant à sa guise. 

Dans une violence déterminée et contrôlée – un solo chorégraphié -, la femme fait face à la difficulté de faire revivre ou mourir son compagnon. Enfin, elle redépose sur sa couche le corps inconscient.

Puis les événements basculent, et l’homme réveillé reprend les rênes ostensibles du foyer, prières et lectures du Coran, dont le livre oscille sur une cordelette, à la place même du livre intime de sa femme. Pour elle, plus aucune liberté, mais les coups et une mort assurée sans la moindre grâce. Tout est dit tragiquement sans mot.

Véronique Hotte 

Mercredi 26 mai (générale) à 18h, jeudi 27 à 19h, vendredi 28 à 19h, samedi 29 à 18h, dimanche 30 à 16h. Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val de Marne, Manufacture des Œillets 1 place Pierre Gosnat 94200 – Ivry-sur-Seine. Tél : 01 43 90 11 11.

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