Et leurs cerveaux qui dansent, texte et mise en scène de Vanessa Bettane et Séphora Haymann. – Compagnie Mare Nostrum.

Crédit photo : Pauline Le Goff.

Et leurs cerveaux qui dansent, texte et mise en scène de Vanessa Bettane et Séphora Haymann. – Compagnie Mare Nostrum.

Qu’est-ce que la différence ? Les caractères spécifiques d’un individu ou d’un groupe, selon un milieu dominant : on parle du droit à la différence des minorités, du droit à la différence des handicapés et du droit de défendre les différences culturelles.

Qu’est-ce que le handicap ? Penchons-nous encore sur le Dictionnaire culturel en langue française (sous la direction d’Alain Rey, Le Robert). Le terme « handicapé » est tellement général qu’il en est insignifiant : rien de commun entre un handicap grave et une dysfonction légère, un handicap moteur et un handicap mental, entre un handicap d’origine génétique, pathologique ou accidentelle, et surtout entre un handicap qui interdit tout espoir d’insertion sociale et les autres.

Les handicapés associés aux infirmes ou aux invalides sont réduits à la déficience qui les affecte, appréciés comme des humains à part, des anormaux. La différence ne permet pas de mener une vie conforme à une vie « normale » et le handicap se manifeste aussitôt en différence culturelle.

Loin de désigner une propriété essentielle du sujet, le « handicap » est ramené à un hiatus entre les capacités effectives de l’individu et les attentes de son milieu. Non seulement l’action thérapeutique, mais la simple modification des circonstances, telle une organisation du travail, de l’habitat ou simplement une tâche caractérisée peuvent annuler certains handicaps.

Nous participons tous à la même course : la compensation d’inégalités fonctionnelles constitue l’objectif d’une politique de lutte contre les handicaps, problème de santé ou désavantage social.

Ce spectacle raconte le parcours de deux femmes, Vanessa Bettane et Séphora Haymann, qui font face à la différence de leur enfant, porteur de troubles neurologiques. Depuis les premiers signes de cette « différence » à son diagnostic, elles explorent les questionnements, les doutes et les prises de conscience sur l’identité hors-norme de leur enfant – non la norme d’un monde aux modèles rigides, quand ces enfants portent un regard inattendu et déstabilisant sur le monde.

Ces enfants ne rentrent pas dans les cases attendues : Tics, dyspraxie, précocité… Une autre appréhension de la vie les attend, basculant dans un monde sans règles – onirique et singulier.

Les mères ont des pensées inavouables : changer d’enfant, en choisir un sur catalogue… Humour et situation absurde et de non-sens. Elles ont des fantasmes : guérir leur enfant grâce à du mercurochrome, la dimension comique n’est pas absente du plateau de théâtre, une survie. Elles ont le désir de devenir mère idéale, gratifiée dans un concours – vidéos des castings de sélection. 

Le surinvestissement, le lâcher prise, le détachement seront exposés, conjurés, transformés. Il ne s’agit pas de transformer les différences de ces enfants en une force ni montrer des mères courages sacrificielles mais plutôt composer par nécessité avec le réel, ce qui est, ce qu’ils sont.

Leurs enfants, Alma et Joshua, présentent des spécificités d’ordre neurologique qui obligent les mères à se poser au quotidien la question de la norme et des problématiques qui en découlent – le rapport à l’éducation, à l’école, à la famille, au regard de l’autre…

Comment en tant que jeune mère faire l’expérience du désir profond d’engendrer « l’enfant parfait », « exceptionnel » qui se mue, une fois advenu, en une volonté farouche à revendiquer le droit de passer inaperçu, comme tout le monde, cocher les cases et ne pas faire de vague.

Comment concilier ces deux aspirations contraires ? Un parcours entre tentative d’invisibilité et surinvestissement de l’attention. Quel est le point de référence qui définit, qui sépare le normal de l’anormal ? Comment faire entendre notre droit à être ce que nous sommes chacun, selon ses possibles, dans un monde social qui nous impose le couloir restreint de ce que doit être la norme.

La ligne scénographique du récit dévie – ruptures, discontinuités, scènes morcelées -, les attentes sont reconduites, nulle analyse à vif du sujet, mais le malaise prégnant des mères lasses. Séphora et Vanessa participent, de manière loufoque, au concours de la Meilleure Maman de l’Année – enthousiasme, goût du jeu et du divertissement, énergie et bonne volonté, désir enfantin de gagner. Le spectacle file la métaphore du zèbre, l’ « enfant-zèbre » désignant les enfants à hauts potentiels, donc différents. Le zèbre, difficilement apprivoisable, se fond dans le décor et s’y distingue par ses rayures, ce peut être aussi des caractères propres à chaque individu.

Un spectacle non pas sur les enfants mais sur le monde dans lequel ils vivent – celui des mères confrontées à une réalité qu’elles se doivent de dépasser, vaillantes et valeureuses, pour vivre.

Pseudo-discussions avec les différents médecins, prises téléphoniques de rendez-vous qui n’en finissent pas, studio d’enregistrement radiophonique où les comédiennes-mères déclament leur partition, ballons blancs et noirs jetés sur le plateau pour signifier l’enfance et les jeux festifs, vidéo sur écran réduit où sont projetées les lignes des lèvres qui articulent avec soin leur souffrance.

Les comédiennes facétieuses s’adressent au public, les invitant à les suivre, sur le plateau de théâtre, un parcours imposé qu’elles ont choisi de révéler : le monde de leur enfant dont on aurait aimé en savoir davantage, non par curiosité mais par volonté de comprendre plus précisément ces enfants forcément attachants, présents en filigrane derrière leur mère s’exprimant sur la scène.

Des mères universelles et aimantes qui sont nous tous, spectateurs et spectatrices de Et leurs cerveaux qui dansent.

« Je ne dirais pas que je suis quelqu’un de spécial. Je dirais que je suis rien. Enfin quelqu’un de normal par exemple, quelque chose comme ça. Etre normal c’est ne pas avoir des choses en spécial par exemple, ne pas avoir des choses spéciales. Je n’ai rien de vraiment spécial. Après, c’est moi qui trouve que je n’ai rien de spécial, mais après peut-être que je n’en ai, je sais pas. » entend-on dire Joshua, le fils de Séphora.

Tous, nous avons quelque chose de spécial, au-delà des ressemblances et similarités.

Véronique Hotte

Représentation professionnelle du 11 mars 2021 aux Plateaux Sauvages – Fabrique artistique et culturelle de la ville de Paris, 5 rue des Plâtrières – 75019 Paris. Prochaines représentations à la rentrée au public et espérons-le lors d’une longue tournée en 2021/2022.