Gros de et avec Sylvain Levey, mise en scène de Matthieu Roy, la Compagnie VEILLEUR.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

Gros de et avec Sylvain Levey, mise en scène de Matthieu Roy, la Compagnie VEILLEUR.

Dans sa famille, tout le monde est en surpoids, y compris le chat. La mère est technicienne de surface et le père travaille dans le bâtiment, une famille modeste qui vit heureuse, sans prendre le soin de rester vigilante, quant à une alimentation saine.

Des pâtes, du poulet frites, de la mayonnaise et du ketchup à volonté, des pizzas.

Le protagoniste n’est jamais appelé par son prénom : on dit toujours « le petit bouboule de l’école Turgot qui habite rue Raspail, dans le lotissement ».

Quelqu’un d’assez bon enfant et joyeux, porteur de bons mots et de mots d’esprit à la fibre comique et pince-sans-rire, ce qui fait plutôt de lui un agréable compagnon.

Petit, on lui passe la main dans les cheveux : les gens se permettent beaucoup avec les gros. Sylvain Levey est un auteur contemporain, qui a voulu raconter son parcours, de sa naissance jusqu’à aujourd’hui, dans un monologue au titre explicite qu’il interprète lui-même, sous le regard vigilant du metteur en scène Matthieu Roy.

Gros est un livre intime d’aveux dans lequel il raconte ses efforts peu récompensés pour infléchir le cours de la balance. Or, un petit carnet rouge à spirales pour noter les abstinences effectuées au jour le jour n’y fera rien : l’enfant, puis le jeune homme, se contraint et se limite à se nourrir de produits variés et « sains » durant trois jours, juste avant le quatrième qui sera un jour fatal de « grande bouffe » et de défaite.

Pourtant, au début, les parents devaient se contorsionner et inventer des pirouettes aériennes pour la petite cuillère à donner à l’enfant afin qu’il consente à manger… Puis, un été, il décide de se nourrir comme tout le monde pour faire plaisir aux siens : or, d’un excès à l’autre, il s’est laissé emporter plus loin par son désir d’avaler.

Il a grossi, et chacun à la rentrée scolaire le remarque : une situation dont il ne se départira pas, même au temps de ses études à Rennes en sociologie où, dans sa chambre d’étudiant, il se donne le droit d’aller faire des razzias au supermarché.

Puis, les premières manifestations estudiantines, et le goût de parler et de marcher, et de rencontrer un amour à venir dont il aura des enfants… comme tout le monde.

Il découvre les auteurs de théâtre, Tchékhov, Koltès, Lagarce : des mots qui entrent en rivalité avec les kilos qu’il s’appliquera dès lors à faire disparaître plus ou moins.

Dans une cuisine, et de retour du supermarché, l’auteur-interprète met en voix son autobiographie romancée, tandis qu’il se sert d’ingrédients rangés dans le réfrigérateur, et d’ustensiles à cuisine adéquats, par exemple, un moule à gâteau pour confectionner un des plus merveilleux fondants au chocolat que nous ne goûterons pas, la Covid 19 empêchant tout rêve de partage ou de gustation.

Les mots de Sylvain Levey sont enveloppants, mais pas trop sucrés ni trop salés puisqu’ils traduisent la volonté même de l’auteur de se présenter comme quelqu’un de banal – dont on ne parle pas, issu d’une classe sociale très moyenne – qui a pu accéder au monde du théâtre – une passerelle d’envol qui l’a révélé à lui-même, à travers la découverte des techniques de la salle et du plateau de scène, et d’un matériau de travail infiniment précieux, l’écriture expressive de l’existence, sa langue.

Tranquillement, Sylvain Levey déploie toutes ses capacités sensibles de narration à travers une histoire dont il incarne le personnage-témoin, avec distance et tact, aidant les spectateurs – jeunes et moins jeunes – à se reconnaître en lui. 

Grâce à cet art si difficile de dire tout simplement les choses de la vie.

Véronique Hotte

Les Quinconces et L’Espal, scène nationale Le Mans, du 1ER au 6 octobre. Association Ah ? PARTHENAY, 8 octobre. Théâtre de Thouars, THOUARS, 9 octobre. Théâtre de la Tête Noire, SARAN 15 octobre. Les Scènes du Jura, Scène Nationale, LONS-LE-SAUNIER, – 3 au 6 novembre.Côté Cour, BESANÇON, 9 au 12 novembre. TnBA – Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine et Glob Théâtre, BORDEAUX, 17 au 28 novembre. Scène Nationale d’Aubusson, AUBUSSON, 30 novembre et 1er décembre. La 3’e, Saison culturelle de la Communauté d’Agglo de l’Érnée, ÉRNÉE, 26 et 27 janvier. Théâtre André Malraux, CHEVILLY LARUE, 10 avril. Palais des Congrès et de la Culture, LOUDEAC, 23 avril. L’Avant-Scène, COGNAC, 5 et 6 mai. Théâtre du Chevalet, NOYON, 21 mai.