Archipel, texte de Mélissa Irma et Zacharie Lorent, mise en scène et dramaturgie d’Alice Gozlan.

Archipel, texte de Mélissa Irma et Zacharie Lorent, mise en scène et dramaturgie d’Alice Gozlan.

Archipel pourrait se définir comme une fiction d’anticipation, le récit de l’histoire d’un frère et d’une sœur dans un futur proche, confrontés à l’arrivée d’un refroidissement climatique européen. Un spectacle fort qui raisonne avec notre confinement récent.

Pour donner à nouveau à désirer collectivement et contre les anciens récits de notre société moderne – récits de conquête spatiale, de la grande idéologie du progrès matériel  … (Emilie Hache) -, la compagnie A Point, de Julia de Reyke, Alice Gozlan, Melissa Irma et Zacharie Lorent, face aux crises du temps, offre de nouveaux récits.

Des récits à réinventer, récits écologistes, récits féminins, de réussite personnelle, de conquêtes, d’héroïsme ; le nouvel héroïsme consisterait à préserver la planète, à organiser la collectivité, selon des « justes » qui infléchiraient leur trajectoire sociale. 

S’est imposé le récit des catastrophes, des bouleversements, dont il faut pourtant se relever :  la catastrophe écologique, climatique, économique, politique et individuelle, ainsi la dépression, le burn out, la perte d’espérance, le sentiment de vacuité.

La sensation d’un monde qui nous échappe est contrebalancée par ce qui nous sauvera, ce qui permet de changer le monde, la joie, l’énergie et le courage. Dans cet univers pensé comme fini, résiste une invariante esthétique, poétique et onirique.

La catastrophe initiale – incipit du récit « épique » – concerne la mort d’Ulysse, au volant de sa voiture, dont le monologue préalable verse dans une prose poétique sensible – l’enfance en compagnie de sa sœur, les amours passées… Le trentenaire avoue en même temps son accord avec la beauté des paysages, du ciel, de la nuit, de la neige ou de la pluie qui tombe, du froid insistant et de l’asphalte miroitant.

Or, la vie quotidienne est pressée et pressante et ne permet nul retour à soi.

Après un grave accident, Ulysse est dans le coma à l’hôpital, l’histoire se déplaçant sur sa sœur Pauline dont la thèse porte sur le Petit Age glaciaire, catastrophe climatique du IV è siècle – métaphore et mise en abyme du présent menaçant des protagonistes, un refroidissement sensible avec températures résolument négatives.

A l’hôpital, Ulysse est soigné par Cécile qui l’aime bien, infirmière mélancolique et pleine d’humour qui assume sa mission avec foi, lectrice de faits divers. L’amitié naît entre celle-ci et Pauline tandis que survient un quatrième comparse – visiteur de son grand-père malade -, Théo, musicien, lecteur autodidacte et amateur de Dostoïevski.

Dans cette situation d’attente insoutenable, se noue peu à peu un fil sentimental entre l’étudiante accro à la série Buffy contre les vampires et le jeune idéaliste.

La mort du grand-père est un second effondrement auquel Théo s’attendait : il quitte la ville pour découvrir d’autres pays et d’autres continents, correspondant toujours par mails ou par sms avec Pauline, tandis que le dérèglement climatique plonge progressivement l’Europe dans un froid hivernal jusqu’à créer une crise majeure.

Un archipel désigne un groupe d’îles, tels les îlots d’un archipel ; le spectacle est le point de jonction de quatre îlots de solitudes, le frère et la sœur, Théo et Cécile.

Dans la mise en scène à la fois lumineuse et ténébreuse d’Alice Gozlan, la scénographie de Salma Bordes, après avoir diffusé sur le plateau noir un nuage de brume blanche, un paysage de confusion hivernale transposé sur l’écran vidéo, offre divers points de vue significatifs – allers et retours entre la chambre d’hôpital, derrière un voile de tulle, et la chambre de Pauline, sans oublier le couloir hospitalier où les visiteurs attendent patiemment, propice à la rencontre entre Pauline et Théo, sans oublier non plus la vidéo encore qui diffuse sur l’écran du lointain les sms et les mails de Pauline, interrompue toujours dans le visionnage de sa série ou ses études. 

Un travail soigné dont le succès revient aussi aux lumières de Quentin Maudet, aux sons d’Estelle Lembert et de Nicolas Hadot, à la musique de Nabila Mekkid.

Et les acteurs restent joliment engagés dans leurs propos, portant sur leurs épaules frêles cette belle croyance juvénile en des lendemains futurs plus ensoleillés ; or, ils se savent embarqués dans un bouleversement climatique passager à surmonter.

Le public suit avec plaisir Julia de Reyke dans le rôle de la soignante habitée humainement par sa mission et par le désir de rencontrer les autres qui l’entourent ; Thibault Pasquier dans le rôle du vif Ulysse est juste et convaincant, emporté par un élan idéaliste qu’il ne refreine pas, un romantisme qui élude ce monde décevant.

Mélissa Irma, l’auteure d’Archipel, joue Pauline, une jeune femme contemporaine décidée, et Zacharie Lorent, co-auteur de la pièce, joue l’ami artiste et fantasque.

Un spectacle admirable de vivacité et d’envie de vivre malgré tout, transcendant l’angoisse et le malaise d’habiter un monde auquel on ne croit plus. Musique, chant et danse, les dialogues et monologues s’entrecroisent dans un rythme envoûtant.

Le spectacle s’est donné au Théâtre El Duende à Ivry-sur-Seine, une compagnie à fonctionnement collectif sous forme de coopérative. Accueil du public et des compagnies dans un lieu culturel de proximité, un pôle de création artistique, un espace d’intégration et de mixité sociale d’une zone urbaine sensible, par la culture.

Véronique Hotte

Théâtre El Duende, 23 rue Hoche à 94200 -Ivry-sur-Seine, les 24, 25 et 26 septembre 2020. Théâtre La Reine Blanche à Paris, du 17 au 21 février 2021.

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